Nombre de commentateurs politiques et économiques critiquent sévèrement l’approche dépensière des gouvernements fédéral et provincial depuis le début de la pandémie de COVID-19. Les inquiétudes sont fondées.

Au Québec, entre mars et juin, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, est passé de l’annonce d’un budget équilibré (et même d’un versement de 2,7 milliards dans le Fonds des générations) à celle d’une prévision de déficit record (14,9 milliards). Au Canada, la situation inquiète encore davantage. Le ministre des Finances, Bill Morneau, prévoit un déficit de 343,2 milliards pour 2020, soit 12 fois ce qui était planifié lors de la mise à jour économique de décembre 2019. Dans ce contexte, à quand le retour à l’équilibre budgétaire ? D’ici cinq ans, nous dit Girard sur un ton optimiste. Dans un horizon impossible à prévoir, nous dit Morneau.

Or, ce que le portrait économique démontre, ce n’est pas que l’État canadien ou québécois dépense de manière irresponsable en temps de crise. Au contraire, jamais n’a-t-on autant besoin d’un État interventionniste que dans une crise de santé publique comme celle qui sévit depuis quelques mois.

Ce que ces déficits démontrent plutôt, c’est que le modèle fiscal privilégié au Canada – et dans tout l’Occident – depuis quatre décennies doit être complètement revu. Au nom des politiques conservatrices inspirées de l’ère Thatcher au Royaume-Uni (déficit zéro à atteindre, gestion « rigoureuse » des dépenses ou réingénierie de l’État), on fait fondre les services aux citoyens, on expulse l’expertise de plusieurs ministères vers le secteur privé et on qualifie ensuite la fonction publique de non efficace et d’improductive.

Compte tenu de cette gestion managériale de l’État basé sur le court terme, il est difficile de se surprendre des ratés connus lors de la gestion de la première vague de la pandémie au printemps dernier. Derrière un déficit budgétaire, l’actuelle crise met en lumière un autre déficit tout aussi important : un déficit de confiance en un appareil étatique désincarné et dévalorisé depuis 40 ans.

Il n’est pas garanti que la relance économique tant attendue sera au rendez-vous dans la prochaine décennie (2020-2030). Il est cependant garanti que les besoins iront grandissants et que toute politique d’austérité et de restriction budgétaire sera grandement dommageable pour le tissu social. Comment donc concilier ce nécessaire retour à l’équilibre budgétaire avec un accroissement du rôle de l’État ?

Rompre avec l’ancien modèle

La solution réside dans la rupture avec un modèle fiscal qui encourage l’augmentation des écarts de richesse, pour revenir à une fiscalité progressive similaire à ce qui était en place en Occident entre les décennies 30 et 80. Concrètement, cela signifie d’accepter d’accroître les revenus plutôt que de chercher frénétiquement à réduire les dépenses : créer de nouveaux paliers d’imposition pour les ultrariches, réduire les manigances d’évitement fiscal, s’inspirer des propositions de Thomas Piketty sur l’imposition du patrimoine, faire payer davantage les grandes entreprises. Surtout, cela signifie mettre en place des mesures concrètes (tant à l’échelle nationale qu’internationale) pour lutter contre l’évasion fiscale qui, selon les estimations, fait perdre quelque 26 milliards à l’État canadien chaque année.

Les crises sont des prétextes parfaits pour se remettre en question et se réorienter.

La crise économique des années 30 a obligé une rupture avec une société propriétairiste qui avait exacerbé les inégalités partout en Occident. Presque 100 ans plus tard, le même type de rupture doit se faire avec cette crise de santé publique. Vu la situation d’exception que vivent tous les États de la planète, le retour à l’équilibre budgétaire ne peut se faire que progressivement. Mais la justice sociale et la justice fiscale doivent brusquement revenir au cœur des priorités des dirigeants politiques.

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