De nombreux observateurs voient dans le développement durable une trajectoire de développement désignée pour répondre aux préoccupations actuelles face à la crise pandémique.

Après tout, ne parlons-nous pas de développement durable depuis la publication du rapport Brundtland en 1987, à toutes les échelles décisionnelles et dans presque toutes les sphères de notre société ? Il y a toutefois deux mises en garde et deux conditions.

Le développement durable est pragmatique

La première mise en garde est pour les ambassadeurs du développement durable. Rappelons-nous que le développement durable n’est pas dogmatique. Il est pragmatique. C’est une trajectoire de développement que l’on choisit volontairement de tracer dans le but de léguer une planète et une société en bon état aux générations futures.

Cela signifie qu’il ne suffit pas d’annoncer des intentions ni de définir des cibles, aussi ambitieuses soient-elles, pour que le développement durable se concrétise. Nous devrons aussi assumer notre point de départ et notre réalité pour rester pertinents.

Des batailles que l’on croyait gagnées, par exemple sur l’utilisation des contenants à usage unique, seront peut-être à recommencer. Des batailles que l’on croyait presque impossibles à gagner, par exemple contre la pollution urbaine de l’air, semblent possibles dans certaines conditions. D’autres batailles, notamment pour améliorer les conditions des groupes lésés des services essentiels dans l’économie conventionnelle, pourraient vraisemblablement être reléguées au premier plan.

Face à ces repères changeants, ne tombons pas dans le piège de faire jouer les slogans des années 90 dans l’espoir que tous y adhèrent soudainement. Car le public évolue, les priorités changent et à mesure que les problèmes se complexifient, les solutions doivent être réinventées.

Le développement durable évolue

La deuxième mise en garde est pour les cyniques. Ceux qui voient dans le développement durable une notion « fourre-tout ». Rappelons-nous que le développement durable n’est pas figé dans le temps.

En 2020, l’heure n’est plus aux débats sur la sémantique comme dans les années 80 ni sur la mesurabilité comme dans les années 90. Car nous savons qu’il est possible de consommer moins et de produire mieux qu’il y a 20 ans tout en maintenant la planète et la société en bon état. La question est plutôt de savoir comment nous pouvons multiplier les initiatives allant dans cette trajectoire. Deux conditions s’appliquent.

Prêter oreille à de nouveaux suspects et alliés

Aussi chevronné soit-il, un mécanicien recherchera toujours ce qui cloche avec l’auto, mais ne remettra jamais en question notre manière de conduire. C’est pourquoi, pour la relance, nous devrions créer les conditions et l’ouverture nécessaires à ce que d’autres suspects et alliés soient également dans notre ligne de mire.

Car la crise que nous traversons n’est ni sociosanitaire ni économique. Elle est multidimensionnelle. Elle n’est pas celle des gouvernements ni celle des entreprises. Elle est multisectorielle. Elle n’est pas celle des enfants, des étudiants, des travailleurs ni des personnes âgées. Elle est multigénérationnelle.

Au même titre que les spécialistes de l’économie, les décideurs ne pourront pas se passer de nouveaux acteurs comme les spécialistes de la santé publique, les scientifiques de l’environnement, les éducateurs, les artistes, les experts du numérique et les aménagistes pour repenser les activités économiques.

Passer de la performativité à la mission

La performativité, c’est-à-dire le fait de réaliser elles-mêmes ce qu’elles énoncent, a été l’approche privilégiée des institutions et des entreprises pour être plus durables. Elles choisissent parmi des principes, des objectifs et des cibles définis par une loi, une norme ou une stratégie et elles déterminent des moyens pour les mettre en œuvre.

Nous devrions maintenant dépasser la performativité. Au rythme du progrès de notre société, nous devrions continuellement remettre en question notre mission, en particulier dans l’écosystème entrepreneurial.

Professeure à l’Université Harvard, Rebecca Henderson plaide pour un capitalisme réinventé (Reimagining Capitalism) où la mission est placée au cœur de la transition du « moi, maintenant » vers le « nous, à long terme ».

La mission des producteurs manufacturiers n’est pas de rentabiliser leur machinerie, mais de permettre à la population d’avoir accès à des équipements et des outils nécessaires à leurs activités, leur travail et leurs loisirs.

La mission des constructeurs automobiles n’est pas de produire des modèles spécifiques d’automobiles avec des ressources et des matériaux prédéterminés. C’est de contribuer à la mobilité de la population de façon efficace et sécuritaire. Lorsque la mission est claire, les possibilités d’innovation deviennent pratiquement infinies.

Rappelons-nous l’histoire des fabricants de machines à écrire. Même à coup de subventions, au nom de la création d’emplois et de richesse, presque tous n’ont pas survécu à la vague de numérisation à l’exception de ceux qui avaient véritablement une mission et qui se sont ainsi réinventés.

En l’absence d’une mission à long terme, l’endettement n’empêchera pas la faillite. Au mieux, elle la retarde et souvent, elle la précède.

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