Faut-il remplacer Lionel Groulx par Oscar Peterson dans la nomenclature de nos stations de métro ? Faut-il déboulonner les statues de John A. Macdonald ?

Ces questions sont légitimes, mais nos réponses doivent être prudentes. Si on enlève le nom ou la statue, c’est que l’on renie l’œuvre elle-même que ces individus nous ont léguée. Or, peu de gens sont prêts à dire que la contribution intellectuelle ou politique de géants de notre histoire ne mérite plus notre reconnaissance.

Cela ne veut pas dire que certains noms ne doivent pas être effacés de notre toponymie et que certaines statues ne doivent pas être remisées. La Ville de Montréal a rebaptisé la rue Amherst, car le général anglais était animé d’une haine raciale génocidaire, qui a fait de très nombreuses victimes dans les Premières Nations.

Il n’y a pas que les atrocités qui peuvent disqualifier un personnage historique. Un homme ou une femme qui propagea la haine n’a pas sa place dans nos rues ou nos squares. Que de nombreuses personnalités aient eu les préjugés de leur temps envers les autochtones, les Noirs ou les juifs ne surprendra personne. Par contre, que certaines aient fait du zèle pour les stigmatiser ou les vilipender, cela devrait nous interpeller.

Les questions que nous devons nous poser pour savoir s’il faut marginaliser quelqu’un dans notre mémoire collective sont les suivantes. Cette personne a-t-elle été proactive dans la propagation de la haine ? Ce volet de son comportement était-il périphérique à son œuvre, ou y jouait-il un rôle central ?

Qu’un auteur ait été misogyne dans sa vie privée ne devrait pas nous empêcher de lire ses romans. Qu’un politicien ait possédé des esclaves alors que c’était monnaie courante ne devrait pas nous empêcher d’honorer sa contribution majeure à la construction de notre ville.

Mais qu’un artiste ait dévoué certaines de ses œuvres, de ses écrits et de ses interventions publiques à promouvoir la haine, et que cette haine ait été partie prenante de ses théories, cela justifie qu’on le retire de notre paysage urbain. (On reconnaîtra ici, par exemple, la figure de Vincent d’Indy, antisémite virulent, pourfendeur de « la nauséabonde influence judéo-dreyfusarde », dont la haine anti-juive anima sa théorie de la déchéance de la musique et de la société françaises.)

Pour rendre notre ville plus représentative de notre identité et de nos valeurs, agissons donc avec prudence et discernement. Mais quand il le faut, et comme nous l’avons déjà fait, agissons avec résolution. Retirons ici et là les honneurs qui ne sont pas mérités. Et puis, aussi, rebaptisons des rues ou lieux dont les noms n’ont pas grand résonance historique pour inscrire dans notre paysage urbain toute la richesse et la diversité de notre communauté. Il y a assez de place pour les chanoines et les jazzmen, les femmes fondatrices et les poètes immigrés.

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