La décision d’Air Canada de supprimer 30 liaisons régionales de son réseau n’a rien de surprenant. Tout comme le reste de l’industrie aérienne, le transporteur canadien a été frappé de plein fouet par la crise de la COVID-19, a dû réduire sa capacité de 90 % et a vu ses pertes se chiffrer à 1 milliard au premier trimestre.

À l’instar des autres grands transporteurs américains, Air Canada est une entreprise cotée en Bourse dont la première responsabilité sociale est envers ses actionnaires. Ceux-ci sont sans doute satisfaits de l’annonce de la rationalisation des opérations du transporteur, considéré comme n’ayant aucune responsabilité envers les régions canadiennes. Air Canada semble même peu s’en soucier si on en juge par la façon cavalière dont la nouvelle de la suspension des vols entre Montréal et les Îles-de-la-Madeleine à compter de septembre a été communiquée.

La privatisation d’Air Canada, jusque-là société de la Couronne, a eu lieu en 1988 dans la foulée de la déréglementation du transport aérien amorcée aux États-Unis sous le gouvernement Carter. L’industrie s’est alors structurée selon le modèle de la plaque tournante où chaque grand transporteur opère à partir d’un aéroport principal (le « hub ») qu’il alimente par un ensemble de liaisons régionales. Ainsi, l’unique raison qui motive Air Canada à offrir des vols entre les Îles-de-la-Madeleine et l’aéroport YUL Montréal-Trudeau est l’alimentation de sa plaque tournante montréalaise et non la revitalisation des territoires. Quand l’économie est florissante et que les vols internationaux sont rentables, les transporteurs acceptent volontiers de subir des pertes sur les liaisons régionales dans la perspective de pouvoir capter une partie du trafic en provenance des régions vers des destinations internationales. Par contre, au rythme auquel Air Canada brûle ses liquidités en ce moment, il est impossible pour le transporteur de continuer à offrir certaines dessertes régionales, et ce malgré le quasi-monopole qu’elle y exerce. La situation actuelle illustre bien les limites de l’économie de marché en matière de transport régional, surtout dans un contexte caractérisé par d’immenses superficies et une faible densité de la population. Que faire, dès lors ?

Nous connaissons bien la problématique du transport aérien régional au Québec, car nous avons eu l’occasion au cours des dernières années de mener des travaux de recherche sur le sujet pour le compte du ministère des Transports du Québec et de l’Union des municipalités du Québec.

Le gouvernement du Québec ne possède pas d’autorité réglementaire en matière de transport aérien, mais offre des programmes pour tempérer les effets néfastes sur les tarifs de la situation quasi monopolistique. Le succès de ces programmes est cependant mitigé.

En effet, notre recherche menée en 2019 auprès des différentes communautés régionales indique qu’uniquement 6 % des personnes ayant pris un vol régional ont pu bénéficier du programme de réduction des tarifs de transport aérien de Transports Québec. Nos travaux nous ont menés à formuler bon nombre de recommandations aux pouvoirs publics dont l’une était la création de conditions permettant aux petits transporteurs régionaux de prospérer afin d’atténuer le monopole d’Air Canada.

Le public voyageur ignore souvent que d’autres options existent en marge du transporteur national alors qu’il serait relativement facile pour le gouvernement d’orchestrer des campagnes publicitaires pour faire valoir les attraits de régions du Québec de même que la qualité du service offert par les petits transporteurs régionaux.

Lors de consultations menées en 2017 dans le cadre de la préparation du sommet sur le transport aérien régional de 2018, certains participants avaient suggéré le développement d’un programme de fidélisation régional et même la création d’une marque parapluie (à l’image de Star Alliance) qui regrouperait les transporteurs régionaux. L’établissement d’un prix plancher pour empêcher Air Canada de créer des guerres de prix dans le but d’évincer les petits transporteurs pourrait également avoir des retombées positives, tout comme la suppression de la taxe de vente du Québec (TVQ) sur les services de transport aérien offerts par les petits transporteurs régionaux.

Le rôle clé du gouvernement du Québec en tant que consommateur de services de transport aérien régional, mais également de pourvoyeur de services, à travers de multiples organismes gouvernementaux et paragouvernementaux, doit également être mis au jour. Les transporteurs régionaux du Québec ont parfois l’impression que le gouvernement du Québec leur fait concurrence et certains soutiennent que les employés des secteurs public et parapublic profitent de leurs voyages à des fins professionnelles pour accumuler des points Aéroplan plutôt que d’encourager de petits transporteurs régionaux.

Nos travaux nous ont donné de multiples occasions d’entendre les préoccupations des communautés régionales. Le ton varie d’une région à l’autre. Certaines communautés se démarquent par les efforts accomplis pour stimuler le développement économique et touristique rendant ainsi la région attrayante pour les transporteurs. Pour d’autres, la solution est simple : le transport aérien régional devrait être considéré comme un service essentiel et subventionné au même titre que les transports en commun en milieu urbain. Un système de transport aérien régional entièrement soutenu par l’État serait sans doute utopique. L’éloignement a un coût qui ne peut être entièrement assumé par les contribuables. Cependant, la logique implacable du libre marché menace actuellement le droit au transport des communautés éloignées de même que leur vitalité économique. Des politiques publiques, aussi bien fédérales, provinciales que municipales, favorisant la synergie entre développement économique, développement touristique et mobilité durable s’imposent plus que jamais.

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