C’est cette semaine qu’aurait dû avoir lieu la 25e édition du Tour CIBC Charles-Bruneau. Des milliers de cyclistes se seraient élancés d’un peu partout — de Sherbrooke, Gatineau, Québec, et même de la Gaspésie — pour converger vers Boucherville, franchissant jusqu’à 1000 km à vélo et amassant des fonds pour la Fondation Charles-Bruneau. Mais la COVID nous a joué un tour.

Ce vendredi aurait marqué ma cinquième participation au Tour. Pour la troisième année consécutive, j’aurais pédalé 100 km. Trois jours plus tard, le 13 juillet, je célébrerai aussi un jalon majeur : 40 ans sans cancer.

J’avais si hâte à cette semaine. C’était une année charnière, pour le Tour, et pour moi. À l’âge de 9 mois, en mars 1980, j’ai reçu un diagnostic de neuroblastome. Chimio, radio, chirurgie… à une époque où beaucoup d’enfants perdaient leur combat contre le cancer, je m’en suis sortie. J’ai eu beaucoup de chance.

Mais le cancer laisse toujours des traces. Outre la peur d’une récidive, cette épée de Damoclès qui pend au-dessus de la tête de tout survivant, de nombreuses séquelles peuvent se manifester, physiques et psychologiques.

Je m’en suis somme toute bien tirée. Des séquelles relativement mineures. Un pied tombant. Une vessie neurogène. Une scoliose causée par la radiothérapie. Deux chirurgies pour la corriger en 1993. On m’a inséré des tiges de titane. C’est l’année où je suis devenue bionique, je crois. J’avais 14 ans.

Ça, ce sont les séquelles physiques.

C’est aussi l’année où l’anxiété a commencé à prendre de la place. Beaucoup de place. Les amis qui prennent leurs distances. Les semaines à l’hôpital. La douleur, le corps qu’il faut réhabiliter. L’esprit aussi. Je ne le saurai jamais avec certitude, mais je suis convaincue que j’ai fait une dépression dans les mois qui ont suivi.

Cette douleur-là aussi, j’ai fini par la surmonter. En réalité, j’ai presque toujours maintenu une attitude de détermination. À 4, 8, 15 ou 40 ans, j’ai toujours eu une attitude de « Ah ouin ? Tu penses que je ne suis pas capable… ? Just watch me. »

Tellement, en fait, qu’adulte, je suis tombée dans le même piège que tout le monde. La routine métro-boulot-dodo. Avec deux (magnifiques) enfants. J’ai dépensé beaucoup d’énergie à essayer de démontrer que j’étais capable. J’ai oublié de prendre soin de moi. J’ai oublié d’écouter mon corps.

Ce qui devait arriver arriva. Il y a presque six ans, mon pied gauche a décidé qu’il ne suivait plus. Pied tombant lui aussi. Le neuroblastome et la scoliose avaient affecté la région lombaire qu’on appelle la « queue de cheval ». Avec l’âge et l’usure, des nerfs ont arrêté de fonctionner. Sténose spinale. Un corps de vieille à 35 ans. Difficile à accepter.

Mon histoire est assez typique de celle d’un survivant de cancer pédiatrique. Je suis chanceuse, tellement chanceuse d’être encore là. Mais le risque d’avoir des mauvaises surprises à tout moment demeure néanmoins bien réel, pour moi comme pour tout autre survivant.

Un nouveau bobo, des années plus tard. Un cancer secondaire causé par les traitements. Des problèmes de fertilité à l’âge adulte. L’incapacité à terminer son parcours scolaire parce que les capacités cognitives ont été affectées. Les séquelles peuvent être nombreuses.

Dans mon cas, après un an à m’ajuster à mes nouveaux problèmes de mobilité, je me suis à nouveau dit — cette fois-ci surtout à moi-même — « just watch me ». Mes jambes m’avaient lâchée ? Eh bien, c’est avec mes jambes que je montrerais que je suis capable.

C’est à ce moment que j’ai commencé à rouler. Je me suis inscrite pour la première fois au Tour CIBC Charles-Bruneau. Si franchir 100 km en une seule journée relève de l’exploit pour le commun des cyclistes, le défi est majeur avec deux pieds tombants et des muscles atrophiés aux mollets.

C’est avec mes jambes que je veux (et peux) faire une différence. Pour moi, pour éviter que ma condition ne continue de se dégrader. Pour tous les petits Québécois atteints de cancer ou en rémission. Pour Noémie et Charlie, à la mémoire de Jules et tous les autres. Pour qu’ils soient de plus en plus nombreux à être guéris lorsqu’ils seront grands, comme Charles en rêvait. Guéris pour vrai. Pas de récidive. Pas de séquelle. Pas d’épée de Damoclès. Pour qu’ils soient des enfants, et deviennent des adultes, comme les autres.

D’immenses progrès

À l’époque où j’ai été malade, le taux de guérison des cancers pédiatriques était de 20 %. Aujourd’hui, il est de 80 %. Les progrès et les avancées des dernières décennies sont extraordinaires ! Mais il reste encore un 20 % à aller chercher. Et encore davantage pour qu’il n’y ait plus de séquelles.

Les « jeunes vieux » comme moi, qui peuvent affirmer qu’ils sont guéris du cancer depuis 40 ans, sont encore rares. Mon rêve à moi, c’est que dans 5, 10 ou 15 ans, ils soient beaucoup plus nombreux. Et que la route vers cet anniversaire significatif soit de moins en moins ardue.

En attendant le 25e anniversaire du Tour, reporté à 2021, je continue à pédaler. Pour moi, et pour eux. Si vous le pouvez cet été, répondez à l’appel du mouvement #DonnantDonnant lancé récemment. Appuyez la Fondation Charles-Bruneau, ou toute autre cause qui vous est chère. COVID ou non, les organismes caritatifs continuent d’avoir besoin d’aide et doivent pouvoir jouer leur rôle essentiel au bien commun et à la qualité de vie des Québécois.

Aussi, n’attendez pas que la vie vous rappelle qu’il est temps de prendre soin de vous : activez-vous, pour votre bien-être à vous, d’abord et avant tout.

Finalement, si vous croisez un cycliste sur la route, ralentissez, gardez une distance sécuritaire et encouragez-le. Il s’entraîne peut-être pour sauver des vies — il s’entraîne au minimum pour préserver la sienne —, ou pour célébrer 40 ans de guérison.

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