Dans les dernières semaines, nombreux sont ceux qui se sont demandé d’où venaient les milliards dépensés par Ottawa et Washington pour faire face à la crise actuelle. La réponse est à la fois simple et déconcertante : on les imprime.

Bien sûr, les banques centrales ne disent pas qu’elles impriment de l’argent, ni même qu’elles créent de la monnaie ex nihilo (l’équivalent en langage savant). Elles emploient de nouvelles expressions pour rendre cette pratique plus acceptable et lui donner une apparence hautement sophistiquée : elles « augmentent leur bilan » par des mesures « d’assouplissement quantitatif » (quantitative easing). Quand la Fed – la banque centrale américaine – ou la Banque du Canada disent augmenter leur bilan, elles achètent en fait sur les marchés des titres de dette, principalement des obligations d’État, avec de l’argent qui n’existait pas jusqu’ici, de l’argent qu’elles créent (virtuellement) pour l’occasion.

En soi, cette pratique n’est pas nouvelle. La Banque du Japon l’a expérimentée pour la première fois dès 2000 afin de lutter contre les risques de déflation. C’est pour contrer ces mêmes tensions déflationnistes que la Fed a implanté à partir de 2008 ses premières mesures d’assouplissement quantitatif, injectant d’abord 1300 milliards, puis un autre 2000 milliards entre 2011 et 2014. La Banque centrale européenne (BCE), sous l’influence allemande, s’y est longtemps refusée avant de changer d’avis en 2015.

Non, ce qui est inédit, c’est l’ampleur, la soudaineté et l’étendue de l’assouplissement quantitatif actuel.

Depuis le mois de mars, la Fed a racheté pour 3000 milliards de dollars d’actifs sur les marchés et la BCE pour près de 1400 milliards d’euros. La Banque du Canada s'est jointe au mouvement en rachetant pour 400 milliards de dollars de bons du Trésor et d’obligations du gouvernement du Canada dans le cadre de sa première initiative d’assouplissement quantitatif.

Jusqu’ici, les banques centrales sont plutôt satisfaites des résultats. Les taux d’intérêt sont au plus bas et ces injections massives de liquidités ont soulagé les banques et les caisses de retraite, éloignant le spectre d’une crise systémique. Et cela a bien sûr permis aux gouvernements de financer facilement leurs énormes déficits (250 milliards pour le Canada en 2020, 3700 milliards pour les États-Unis).

Effets pervers

Alors, peut-on vraiment imprimer de l’argent pour payer la dette ? Jusqu’ici, il semble que oui. En économie, et en particulier pour la monnaie, tout est une question de confiance. Pour l’instant, la confiance envers le dollar ne s’est pas envolée. Néanmoins, nul ne sait vraiment quels seront les effets à long terme de cette vaste création monétaire. Car il n’existe pas de théorie de l’assouplissement quantitatif et les banquiers centraux n’ont aucun plan. Ils naviguent à vue, comme l’a avoué Stephen Poloz avant de quitter ses fonctions de gouverneur de la Banque du Canada le 3 juin dernier (« nous sommes véritablement devant l’inconnu »).

On entrevoit néanmoins déjà des effets pervers liés à cette pratique. Premièrement, en l’absence de contraintes, on constate que les institutions financières préfèrent « investir » tout l’argent qu’elles reçoivent des banques centrales dans les marchés financiers plutôt que de le mettre à disposition de l’économie réelle (pour soutenir des PMEs au bord de la faillite, par exemple).

La hausse des marchés financiers qui s’ensuit creuse encore le fossé entre les individus les plus riches (qui ont d’importants placements) et les plus modestes.

L’action des banques centrales crée aussi des inégalités entre les États qui peuvent bénéficier de l’assouplissement quantitatif et les autres (les pays en voie de développement, par exemple). Notons aussi que pour l’instant, la Banque du Canada n’achetant pas d’obligations provinciales, Ottawa finance son déficit par la création monétaire tandis que Québec sera contraint de payer le sien par des moyens traditionnels. Il y a donc ceux qui auront accès à de l’argent gratuit, et ceux à qui on va demander de se serrer la ceinture.

À terme, ce sont nos liens avec la monnaie et le crédit qui se trouvent ébranlés. Comment expliquer à des personnes modestes qu’elles doivent payer leur carte de crédit ou rembourser leur dette étudiante alors que leur propre pays imprime de l’argent pour payer ses dépenses ?

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