On se plaît en ces temps de pandémie à me traiter à part, à me surprotéger voire à me protéger contre moi-même. Qui suis-je pour être ainsi traité ? Une espèce en danger ? Une espèce en voie de disparition ? Un baby-boomer irresponsable ? Un malade potentiel qui s’ignore ? Un citoyen non autonome ? Une personne âgée insouciante ? Un parent non attentionné ? Un grand-parent qui ne sert plus à rien ?

On pourrait poursuivre ainsi la liste des portraits qu’on se plaît à faire de moi. La pensée a besoin de petites cases pour classifier les gens. Une fois classés, tout devient plus simple. On est un boomer, un millénial ou autre chose et nous sont associées certaines valeurs, certains défauts typiques de cette catégorie (ou qu’on leur prête sans analyse trop approfondie). Évidemment, catégorisation et complexité ne vont pas de pair, la première cherche à identifier les lignes générales selon lesquelles on pourrait regrouper les groupes humains alors que la deuxième essaie de montrer que les caractéristiques individuelles résistent à une mise en boîte sommaire.

Certes, les généralisations sont utiles car elles permettent de voir les grandes tendances, mais il faut éviter de croire qu’elles gomment l’individualité. Des individus différents peuvent, dans certaines circonstances, adopter des comportements semblables sans que cela signifie que ces mêmes comportements se répéteront dans d’autres circonstances.

Prenons par exemple les groupes d’âge. On pourrait examiner leur comportement électoral et trouver que les groupes plus âgés votent davantage que les groupes plus jeunes. Est-ce que cela signifie qu’ils votent tous pour le même parti ? Non, bien sûr. Est-ce que cela signifie qu’ils vont tous voter pour le parti qui leur promet les plus grands avantages ? Pas nécessairement s’il leur semble que leurs enfants et petits-enfants devront payer la note. Est-ce que cela signifie qu’ils partagent tous le même idéal de la démocratie ? Pas vraiment.

En réalité, tous sont différents par leur histoire, leur métier, leur niveau de richesse, leur localisation géographique, leur religion ou leur psychologie. Vouloir les résumer par quelques archétypes masque ces différences.

On pourrait faire le même genre de distinction pour les baby-boomers, la génération X ou la génération Y. Le besoin de relativiser à travers des prismes normatifs opaques conduit à des simplifications outrancières. L’être des personnes est masqué par le trop facilement perçu.

Tous confinés

La santé publique et l’épidémiologie sont des disciplines qui s’appuient sur les grands nombres et notamment sur la démographie. Les statistiques leur permettent de préciser les populations à risque et les manières les plus efficaces de les protéger. Ici, les variations individuelles comptent peu, c’est l’accumulation des données qui importe et définit les tendances. Si les données montrent que les personnes âgées de 70 ans et plus seraient plus gravement touchées par un microbe, les responsables de la santé publique vont chercher à les isoler, à les mettre à l’abri. On ne fera pas de distinction entre ceux qui sont en bonne santé et ceux qui cumulent des facteurs de risque aggravants, entre ceux qui sont en CHSLD-RPA-RI et ceux qui sont à domicile. Tous confinés !

Ce faisant, on oublie que les retraités en bonne santé jouent un rôle social important. Ainsi, l’actuelle pandémie a permis de réaliser qu’ils forment une part importante des bénévoles dans les diverses associations et groupements qui agissent dans les communautés. Sans eux, ces organismes parviennent difficilement à remplir leurs mandats.

En les confinant, on coupe le lien qui leur permet de se sentir utile et de continuer de contribuer au développement de la société québécoise. Ce lien est important pour leur équilibre personnel.

De même, les isoler de leur famille et empêcher la réciprocité des échanges avec les proches compromet plus la solidarité familiale qu’elle ne la développe. Demander aux plus jeunes de s’occuper des plus vieux et bloquer tous les services que ceux-ci peuvent continuer de fournir aux plus jeunes, c’est instaurer une sorte d’apartheid intergénérationnel stérile. À l’intérieur des familles, le mouvement solidaire s’exerce dans les deux sens et priver une des parties de la possibilité de continuer d’être utile aux autres est la condamner à un sentiment d’inutilité dévalorisant, voire au dépérissement.

Ce ne sont que deux exemples de la contribution normale des personnes âgées en bonne santé à la vie sociale. On pourrait en trouver bien d’autres, notamment dans le monde du travail et dans l’économie. Les traiter collectivement en dépendants vulnérables, sans égard à leur autonomie réelle et au besoin que les autres générations ont d’eux, c’est une forme de dépréciation sociale inacceptable. Je veux bien que l’on fasse de nous des sages ou des bâtisseurs, mais je préférerais qu’on nous considère comme des citoyens actifs, participant encore de plein droit au développement de la société et capables d’assumer leur part du fardeau collectif.

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