Confinement. Le mot de 2020. Quel mot ennuyeux. Si on enlève le « con » de confinement, on obtient « finement ». La finesse. Prenez un petit moment pour apprécier ce mot. Il est si beau ! Il coule parfaitement sur la langue et sort de la bouche comme une douce brise d’été. La finesse des choses, voilà sans doute ce que je tire de cette période de ma vie.

En discutant au téléphone avec Manon, jeune femme hyper sympa qui m’a proposé d’écrire un article au sujet de la situation présente, j’étais très enthousiaste à l’idée de m’exprimer par l’écriture, moi qui depuis des années avais troqué mes pousse-mines pour des pinceaux. Il faut savoir qu’en deuxième année du primaire, quand ma professeure de français m’avait demandé quel métier je souhaitais exercer plus tard, je lui avais répondu sans hésitation aucune que j’allais devenir écrivaine. La chose que je ne savais pas à cet âge, c’est que j’allais trouver un moyen de raconter des histoires en dehors des mots.

C’est pourquoi en ce moment même où j’écris cet article, je vois mes doigts défiler sur le clavier, j’entends les sons répétitifs qui font comme une chanson dans ma tête, une chanson mécanique, et je me sens comme une intruse qui entre dans un temple sacré. Pour moi, les mots sont étranges, ils sont des images, les chiffres ont des couleurs et les jours des émotions.

Je remarque que les mots respectent une distanciation, ils ne sont pas collés, ils ont tous de l’espace pour respirer. Chacune dans sa petite maison, les virgules font comme des terrasses pour boire un coup et regarder les prochains mots qui vont s’aligner pour faire une phrase.

Les points sont des chalets et les apostrophes des oiseaux dans ce ciel noir et blanc.

Je suis née en 1989, cette année-là une fusée est partie dans les airs. Elle s’appelait Ariane, comme moi. Je me dis souvent qu’en quelque sorte, je suis partie avec elle et je ne sais pas si je suis réellement revenue ou peut-être à l’inverse, j’ai toujours été là-haut et la fusée m’a ramenée sur Terre.

Mon art puise ses inspirations du monde des rêves et des visions méditatives, je transpose ces expériences principalement à travers la peinture. Je recrée ces voyages spatio-temporels pour permettre aux gens de s’évader et à moi-même de me retrouver. C’est une plongée dans un espace transcendantal semblable à un rêve lucide, où conscience et « réalité » se mêlent à l’imaginaire. Le temps n’existe plus, l’espace est indéfini, on est confronté à une dimension extérieure, un portail cosmique dans lequel on peut se projeter, envoyer nos intentions, nos émotions. Avec les années, j’ai bâti mon propre vaisseau spatial.

Je remarque que le confinement a été pour moi une période de grande exploration. Lorsque nul autre choix que de se tourner vers soi s’offre à nous, il faut saisir cette occasion pour s’apprivoiser, faire le ménage du passé, revisiter les moments forts, les voir défiler devant nos yeux comme la pellicule d’un film. Trouver la force de ne pas les retenir pour mieux savourer l’ère de l’instant présent.

Le temps pour moi a disparu, il se définit par : maintenant il fait jour, ensuite un peu moins jour, puis sombre et enfin la nuit. Je dis enfin la nuit parce qu’elle est porteuse du moment où je respire mieux, quand la lune brille et que je danse avec elle.

Je ne fais pas plus d’œuvres qu’avant, je crois, la différence est que je laisse les idées mariner plus longtemps. Créer, pour moi, c’est comme mettre au monde, l’idée qui va se retrouver sur une toile a connu une période de gestation dans mon cerveau, je l’ai peinte des centaines de fois dans ma tête avant qu’elle ne voie le jour. Pourtant, chaque fois je suis surprise de voir à quel point elle choisit elle-même ses propres mouvements, ses nuances, selon l’environnement dans lequel je crée.

Durant le confinement, je peins souvent à l’extérieur, je me laisse guider par le froissement d’un battement d’ailes de papillon sur ma toile ou par un coup de vent qui juge bon de faire valser mon œuvre en l’air, elle se retrouve au sol, je la saisis et la repose sur le chevalet. Elle est parfois couverte d’un mélange de terre et de gazon, je la nettoie délicatement en souriant de ce petit tour joué par le vent. J’ai décidé de créer une nouvelle série sur Atlantis. À la manière d’une fouille archéologique, voyageant entre les rêves et les visions méditatives, je recueille les vestiges de cette utopie bleue qui m’appelle par échos.

J’ai remarqué aussi ma volonté de créer autrement, je revisite les avenues du dessin intuitif, de faire des œuvres plus petites, travailler un tout petit détail pendant des heures, et je m’attarde aussi à la sculpture qui devient une expansion de mon univers peint.

Revenir aux bases me fait réaliser que la création est là pour tous. Elle est en nous quoi qu’il arrive, elle n’attend que le « go » qui part des tripes, là où réside l’intuition. C’est elle qui parfois nous fait poser des gestes inattendus, on ne sait pas trop pourquoi, mais on ressent tout à coup comme si notre estomac devient DJ et qu’il faisait jouer notre chanson préférée du moment : on a envie de se lever et de danser, en d’autres mots, de faire bouger de l’énergie. Chaque jour est une occasion de se révéler à soi-même, nous semons les indices de qui nous sommes. Souvent on se laisse envahir par notre désir trop grand de vouloir tout savoir, de vouloir donner un nom à tout, alors que notre cœur bat et résonne en nous chaque jour. Il ne demande qu’à s’aligner avec ce qui constitue pour moi les deux autres « cerveaux », l’intuition dans les tripes et l’esprit dans le crâne.

Je ne m’étendrai pas aux généralités, peu importe si vous pensez que la situation actuelle est une conspiration à échelle planétaire orchestrée par les extraterrestres ou que vous suiviez les règles de confinement à la lettre (évidemment, il y a énormément de possibilités qui se situent entre ces deux choix), là n’est pas la question : comment vous sentez-vous ?

Comment vous sentez-vous maintenant ? Ni avant ni après. Seulement là, ce moment. Demandez-vous ensuite si ce que vous ressentez est quelque chose que vous voulez conserver dans votre cœur.

Le simple fait de déterminer si vous voulez conserver cette émotion ou non va enclencher un changement en vous. Un pas dans la direction que vous souhaitez. Faire des pas, vers l’avant, vers l’arrière, peu importe : trouver l’action dans l’inaction. Une action douce, une action molle, une grande ou une petite, peu importe aussi.

Durant cette période de confinement, notre corps est restreint dans son expression certes, mais sommes nous réellement confinés ? Je veux dire oui, physiquement notre corps est à l’intérieur, toutefois rien ne nous empêche de penser à notre mode de vie. Depuis le début du confinement, j’entends partout des exemples de gens qui changent leurs habitudes de vie pour le mieux, des gens qui s’intéressent maintenant aux répercussions environnementales, à encourager ce qui est local, à aider les voisins, les aînés, les amis, les gens qui sont mal pris, j’entends des gens qui reprennent contact avec d’anciens amis ou membres de la famille. Les gens se donnent des buts, prévoient l’après-crise, envoient des messages remplis de bonheur à des inconnus dans la rue, mettent des couleurs, embellissent leurs lieux de vie, disent bonjour, envoient des signes de la main à n’importe qui, des gens qui se penchent sur eux-mêmes et travaillent pour mieux se comprendre, trouvent des moyens innovants de se parler, de faire rire, danser, etc. Nous vivons confinés, oui, mais jamais autour de moi je n’ai vu autant de gens connectés, nous connectons autrement, avec nos mots, nos couleurs et nos gestes. Et même si vous ne faites rien de toutes ces choses, c’est correct aussi. Ce qui compte, c’est que ce mouvement d’amour et de renouveau monte à la surface et plane au-dessus de tout. C’est extrêmement puissant et c’est la façon d’apprivoiser la peur, c’est la façon de rester focus sur ce qui compte réellement : la connexion immuable entre l’humain et la nature. Elle est là, la vraie puissance.

Nous sommes libres en nous, toujours.

Évidemment il y a aussi de la violence de toute sorte qui jaillit comme dans tout mouvement humain, mais on a le choix, on décide chaque jour en se levant qui on est et ce qu’on souhaite semer autour de soi. La violence, l’amour, la peur, la joie : tout a toujours été là et tous ces états d’esprit humains sont contagieux, ils vivent et se propagent, ils font partie de nous. Il n’en tient qu’à nous de choisir quelle émotion on a envie de propager autour de nous. Cela ne veut pas dire sublimer les émotions « négatives », cela veut dire comprendre d’où elles viennent, les vivre pleinement et ensuite s’offrir les moyens de transformer ces états, se reconstruire.

La situation dans laquelle nous vivons en ce moment est à mon sens un combat contre la peur, et en fait, ce n’est même pas un combat, plutôt un moment d’apprivoisement mutuel entre la peur et soi.

Si tous les humains étaient mis ensemble pour ne former qu’un seul humain et qu’on déposait un miroir devant lui, il y verrait tous les courants qui l’agitent et partent dans tous les sens, formant des zones semblables aux courants marins et aériens qui se meuvent sur terre. Comme pour calmer les tourments d’un enfant en plein cauchemar, avec sa main sur sa poitrine tout doucement il tenterait de réduire les zones de mouvements extrêmes, trouver l’équilibre entre les courants.

Reconnaître l’ennemi en quelque chose est admettre que cette chose peut nous détruire alors on veut fuir ou se battre, par contre quand on considère le respect mutuel dans cette équation, notre façon de voir les choses change : respecter l’ennemi est accepter que nous ne sommes pas immuables, alors on s’engage dans un tout autre combat. Et à l’issue de ce combat, on voit mieux : est-ce que j’ai gagné ou j’ai évolué ? Est-ce que j’ai perdu ou j’ai grandi ? Là se cache la résilience, la graine magique qu’on oublie parfois qu’on a semée au fond de nous.

En faisant de l’alchimie avec la résilience individuelle et collective, on peut en extraire un élément très précieux. Une denrée rare à déguster avec allégresse, de couleur dorée, elle glisse au fond de la gorge et ondule en nous comme un serpent. Vous souvenez-vous, je vous en ai parlé ? La finesse des choses.

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