Le côté latin des Québécois est une particularité culturelle qui m’a toujours charmé. Ne vous méprenez pas. Je ne parle pas de vos tentatives de déhanchements saccadés sur une salsa endiablée, qui ont pour certains plus les allures d’une crise d’épilepsie que de l’expression d’une génétique de latin lover mucho caliente.

Je parle plutôt de cette propension au laisser-aller et à enfreindre des règlements mineurs avec son vélo, son joint ou sa bière dans le parc. Cette petite délinquance est bien plus marquée au Québec qu’en Ontario, où attendre cette silhouette universelle que nous appelons communément le bonhomme avant de traverser est mieux respectée. Quand vous posez un pied sur la traverse piétonnière en Ontario, les automobilistes s’activent rapidement pour vous laisser passer. Proche de chez nous à Longueuil, sur le boulevard Saint-Laurent, il m’arrive régulièrement de remercier le premier automobiliste qui a eu la générosité de respecter mes droits et de me laisser passer sur la traverse piétonnière.

Ces petites incivilités, que j’associe au côté latin, sont à la fois porteuses de charme et sources de problèmes quand il faut serrer les rangs. Côté positif, j’ai toujours pensé que la grande créativité des Québécois devait en partie à cette tendance à ne pas toujours suivre les chemins balisés. Autrement dit, ici, quand on dit d’une chose qu’elle ne se fait pas, vous pouvez être certain qu’il y en a un quelque part qui se prépare à l’essayer pour voir. Combinée à l’isolement linguistique, cette « génétique » de désobéissance ou d’insoumission sociale est à mon avis un des moteurs de l’originalité créatrice des gens d’ici, surtout dans les arts.

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« En quoi tousser dans le pli de son coude est plus efficace que de porter un masque ? » demande notre collaborateur.

Ce « baba-coolisme », proche d’un hakuna matata existentiel, est très charmant. Surtout quand on le découvre jeune et assoiffé de liberté comme je l’étais en débarquant ici en 1991. Une soif de liberté étanchée à grandes gorgées de Molson Ex en compagnie d’une joyeuse bande de fêtards qui te donnent ta citoyenneté directement après le premier pichet en te chantant leur fameux hymne national « et glou, et glou, et glou… il est des nôtres ».

Mais avec ces temps de turbulence où nos écarts de conduite peuvent être dommageables pour les autres, ce potentiel d’incivilité pose un sérieux problème.

Il y a deux jours, j’ai enfilé un masque et des lunettes pour me rendre en vélo dans un magasin de mon quartier. Quand je suis arrivé, un garçon très consciencieux m’a reçu avec le masque et indiqué de respecter la distanciation. Quelques minutes plus tard, d’autres clients ont commencé à entrer. Dans cet établissement pas très spacieux, et malgré le discours sur la distanciation physique répété ad nauseam dans les médias, la grande majorité des gens arrivaient sans masque, collés les uns sur les autres. Une inconscience ou un incompréhensible je-m’en-foutisme qui m’a poussé à dire au jeune vendeur avant de quitter : « Si tu ne te protèges pas comme il le faut, ce ne sont pas les autres qui le feront à ta place. Il faudrait que tu mettes tout le monde dehors et que tu fasses entrer un client à la fois. »

De la même façon, si le gouvernement continue à marteler le message qui consiste à associer le port du masque à un geste altruiste qu’on fait pour protéger les autres, il va rater une communication essentielle. Dans nos sociétés capitalistes et individualistes, beaucoup de personnes font les choses pour elles et pas pour les autres, et la seule façon de les convaincre est de leur dire de porter des masques pour elles-mêmes, car on est tous de potentiels porteurs asymptomatiques. Il faut dire qu’il y a un énorme problème de communication et de pédagogie autour de l’utilisation du masque ou tout autre couvre-visage. Je ne parle pas seulement ici du spectaculaire revirement des autorités canadiennes et québécoises au sujet de la pertinence de les mettre. Ces autorités de la santé publique et tous les spécialistes qui ont généreusement relayé leur message dans les médias sur la dangerosité du port du masque nous ont privé d’une belle occasion de distancer un peu plus le virus. Après deux mois passés à dire à la population que le masque peut être dangereux pour sa santé, il ne sera pas facile de lui déprogrammer, même s’il faut absolument le faire.

J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la réflexion de Nimâ Machouf lancée à Tout le monde en parle sur le sujet. Elle demandait à juste raison en quoi tousser dans le pli de son coude, ce qu’on recommande à tous, pouvait être plus efficace que porter un masque. C’est comme si on attribuait au pli du coude humain la capacité de concentrer un flux microbien de gouttelettes en aérosol provenant de la bouche et du nez pour éviter que les germes ne passent de part et d’autre de notre bras.

Pourtant, on n’a pas besoin d’équation mathématique pour savoir que fermer les portes de sortie des virus que sont la bouche et le nez avec trois épaisseurs de tissus est bien plus efficace pour empêcher les germes de se disperser dans l’environnement.

Si ce n’était pas le cas, pourquoi, de la Chine à Taiwan en passant par Hong Kong et la Corée du Sud où la progression du virus a été efficacement ralentie, le port du masque est-il omniprésent ? Pendant deux mois, on a servi des banalités sur le sujet en appelant en renfort la science et en infantilisant les gens comme s’ils étaient incapables de porter un masque comme il le faut. Pourtant, la très grande majorité de la population est capable d’apprendre rapidement à bien porter et à s’habituer à un masque. Alors, si on veut que le port du couvre-visage soit efficace, il faut le rendre obligatoire. Il faut que les gens qui entrent dans les magasins sans masque et méprisent les règles de distanciation se fassent regarder comme on regarde ceux qui fument dans les endroits où la cigarette est interdite. Il faut qu’on regarde ces gens comme on dévisage irrespectueusement les personnes qui ne font pas la queue devant une caisse enregistreuse. Seules la peur de se faire rejeter dans le regard des autres et la perspective de vivre une anxiété d’exclusion sociale, si petite et furtive soit-elle, amènent certains humains à entrer dans les rangs.

Quant à ceux qui jouent les désinvoltes sans peur et entrent dans les bulles de distanciation de leurs collègues et proches, il faut les raisonner. Il faut rappeler à tous ces insouciants que lorsque leur comportement peut rendre les autres malades, engorger le système de santé et empêcher des personnes qui souffrent déjà de se faire traiter pour des cancers, des problèmes cardiaques et d’autres maladies très sérieuses, c’est qu’ils sont bien plus proches d’irresponsables citoyens que de courageux baba cool qui minimisent la menace virale. Si vous ouvrez les yeux, vous verrez que ces soi-disant esprits détachés de ce qu’ils considèrent comme une psychose collective sont partout autour de vous. Ce sont des collègues de travail, des voisins, des amis ou des personnes croisées dans la rue qu’il faut rappeler à l’ordre et remettre à leur place.

Décidé de riposter à ces trop latins, il y a quelques jours, j’avais pris la décision de désormais sortir de chez moi avec une bonbonne de poivre de Cayenne pour me défendre contre le prochain postillonneur qui viendrait me parler de palourde royale un peu trop proche. Finalement, j’ai changé d’avis. En cause, ma blonde m’a rappelé que les chances que la personne me tousse dans la face après l’attaque au piment sont fortement élevées.

Plus sérieusement, j’ai un conseil pour terminer. En toute circonstance, ne vous gênez pas pour dire à l’inconscient qui carbure à « il n’y a rien là », « les gens capotent ben trop » ou « wayon, on n’a même pas de cas icitte » de décoller de votre bulle de protection. Il ne faut pas se gêner, revendiquer ostensiblement le respect de son espace de distanciation, c’est aussi très latin.

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