Mon univers familial ne comporte qu’une planète et c’est mon fils.

J’ai un magnifique grand garçon de 23 ans. Autiste non verbal, déficient intellectuel, qui n’a pas encore acquis la propreté et qui a d’autres petits défis que la vie lui a donnés pour peaufiner sa patience et la mienne. Il a peut-être 23 ans, mais avec tous ses handicaps, il est encore un grand bébé. Son film préféré est Dumbo et Mickey Mouse est son ami.

Il a été avec moi jusqu’à ses 19 ans. Il est formidablement attachant, mon garçon. Mais sa beauté et sa candeur s’accompagnent également d’une grande force physique et, à bout de souffle, j’ai dû me résigner à demander de l’aide. Car, lorsqu’il fait des colères, le petit garçon, qui écoute pourtant encore religieusement ses Télétubbies, peut se transformer en incroyable Hulk. Pour paraphraser le cinéma de superhéros, je dirais que l’incroyable Hulk a fait baisser les bras de Wonder Woman.

C’est le cœur en mille miettes, avec l’estime de moi au plancher et la culpabilité au plafond que j’ai dû me contraindre à le placer en résidence. Cette résidence est chapeautée par les bons soins du CIUSS-MO. Ah, vous me voyez venir maintenant… pas encore un autre aidant naturel qui veut nous faire pleurer sur son sort ce matin. Eh bien, vos pleurs et les miens ne sont pas vraiment nécessaires ici, ni souhaités, mais si cette lettre peut finalement me faire entendre par les hauts dirigeants du CIUSS, go for it et tant pis pour ma timidité naturelle !

Depuis son placement, je visite de façon très régulière mon garçon et il vient à la maison très souvent. Chaque semaine, il attend avec une grande impatience mes visites. C’est assez sportif, aller le chercher, car chacune de ses visites ressemble à un parcours de combattant. Pendant ces journées, je valse entre les pleurs hystériques et les rires en cascades, et si on pouvait filmer mon garçon pendant 24 heures, je vous jure que cela ferait tout un feel good movie. Il est tellement heureux lors de ses sorties.

Soixante-sept jours

Sauf que… on m’interdit de voir mon fils depuis 67 jours. Au début, je comprenais aisément les exigences du confinement et, par ailleurs, je les approuvais totalement. Mais maintenant, en ce 17 mai, lorsque bientôt, pour réussir mon travail, je serai entourée de 300 enfants et d’une multitude de personnes, je ne comprends plus le refus. Surtout que je peux prendre toutes les mesures de protection nécessaires, j’ai même été passer un test de dépistage qui s’est avéré négatif. En vain…

Pendant ces 67 jours, mon garçon a essayé quatre fois de se sauver de sa résidence.

La résidence a même dû appeler les policiers en renfort trois fois parce qu’ils ne pouvaient pas l’arrêter. Cinq personnes pour le contrôler n’étaient pas suffisantes. Vous savez, un Hulk décidé et en colère, c’est du sérieux. Il a essayé littéralement d’arracher les fenêtres. Ce n’est malheureusement pas une figure de style, il a essayé d’arracher les fenêtres ! Il ne comprend tout simplement pas pourquoi sa mère ne vient plus le chercher. Il ne comprend pas, parce qu’il n’a malheureusement pas la capacité de comprendre la situation.

On nous dit ad nauseam que le confinement ne doit pas causer trop de conséquences. Est-ce possible maintenant de permettre, avec toutes les balises de sécurité nécessaires, qu’une mère voie son « petit » Hulk ? Parce que Wonder Woman a l’impression de jouer dans un bien vilain film et la fin ne s’annonce vraiment pas heureuse. Les aidants naturels et les proches aidants sont les battements d’ailes d’un papillon dans la vie d’une personne handicapée, leur utilité et leur effet semblent insignifiants, pourtant ce battement d’ailes suffit à lui seul à faire dévier la peur et à installer, telle une tornade d’amour, la certitude d’être aimé.

Le mercredi 20 mai, à la fin de ma journée de travail, je serai donc dans l’obligation de me présenter au bureau de ma députée avec une pancarte à la main. Sur cette pancarte sera écrit, « Monsieur Legault, permettez que mon garçon revienne à sa maison pendant une journée ». Incongru, non ! Et concernant ma timidité naturelle, eh bien allons-y pour le port du masque ; pour une fois, j’aurai sérieusement la certitude qu’il me protégera.

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