En 1991, un groupe de travail pour les jeunes présidé par Camil Bouchard publie un rapport, « Un Québec fou de ses enfants ! », vibrant plaidoyer pour les enfants et les jeunes en situation de vulnérabilité. Un titre à l’esprit festif qui m’a toujours plu parce qu’il porte la promesse d’un engagement collectif, fou d’amour au surplus.

En 2019, la fête est passée et la déclaration publique d’amour, démentie. On doit créer une Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, car les Québécois ne décolèrent pas face à la mort tragique d’une fillette de 7 ans à Granby.

En 2020, cette fois, les Québécois ne décolèrent pas devant l’hécatombe qui frappe les aînés et à laquelle ils assistent impuissants, abattus, désespérés. La COVID-19 est insaisissable et la responsabilité de l’hécatombe, selon la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, est « collective ».

Pourtant, depuis des décennies le « collectif » de milliers de citoyens présents et bienveillants a assumé ses responsabilités, Madame la Ministre.

Je veux parler ici des personnes proches aidantes sans qui, force est de le constater aujourd’hui, les milieux de « vie » hébergeant des personnes vulnérables âgées basculent. Certaines exercent au domicile bon an, mal an malgré tous les obstacles et l’insuffisance des services. D’autres exercent en établissement.

Permettez-moi une parenthèse ici : la propagation fulgurante du virus dans ces milieux de « vie » nous aurait également appris, statistiques à l’appui, que le taux de placement dans la Belle Province est nettement plus élevé que partout ailleurs au Canada. Le Québec ne serait pas fou de ses vieux, apparemment. Or, ces chiffres affolants s’expliquent, et notamment par la rareté des ressources à domicile. Savez-vous combien d’aidants meurent avant la personne qu’ils soutiennent ? Où se trouvent par ailleurs les mesures de conciliation du work and care pour les aidants qui sont en emploi ou pour ceux dont le taux de persévérance au troisième cycle inquiète les universités ? Et si l’amour ne suffisait pas…

Revenons-en à nos moutons. Je disais qu’avant qu’elles ne soient interdites de séjour dans ces milieux au mois de mars, les personnes proches aidantes ont nourri, lavé, coiffé et ont pris grand soin du monde du sensible, celui de la relation avec leurs aînés. Non seulement elles ont vu à leur santé physique et psychique, elles ont aussi vu à leur sécurité. Veilleuses de jour comme de nuit, volontaires ou pas. Peu formées, peu informées, peu reconnues, essoufflées et précarisées financièrement, sans congé, répit ou salaire, elles ont pourtant tenu le coup.

Mais, pour leur bien et celui des aînés, on les a toutes remerciées de leurs services. Sans préavis.

Voilà un congé forcé qui les laisse, encore et encore, sans voix et sans pouvoir d’agir. Impuissants. Imaginez-vous, privé du lien, d’un côté comme de l’autre, privé de la chaleur que peuvent promettre la présence, la parole, le contact humain. Ces bénévoles de carrière bénéficiaient pourtant d’une sécurité d’emploi quasi béton jusqu’au fameux décret d’urgence sanitaire ! Pas de doute là-dessus. L’État avait depuis longtemps réalisé de grandes économies grâce à cette main-d’œuvre fiable et dévouée. Quand on aime, on ne compte pas !

Que tout cela ne trompe personne, on a bel et bien congédié le lien ; pas la négligence, ni l’abandon ni la mort.

Il n’y aura pas de pouvoir d’agir, de capacité d’agir, ni pour les aînés ni pour les personnes proches aidantes. Une histoire sans fin qui sera racontée une autre fois. Peut-être. Le temps presse, il y a urgence sanitaire.

Les trois singes

On ne connaissait pas l’état de la situation avant 2020 ? D’évidence, beaucoup avaient au moins l’intuition de l’existence de quelques lignes de failles dans le système. Je le sais. J’en ai la conviction profonde pour les avoir observées et pour avoir entendu aînés, aidants, soignants lors de visites d’évaluation de la qualité des milieux de vie mises en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux. À quoi ont donc servi nos rapports de visites et les plans d’amélioration en découlant ?

Rappelons-nous le vieux symbole des singes de la sagesse, constitué de trois singes dont chacun se recouvre une partie différente du visage avec les mains. Le premier singe couvre ses yeux, le second sa bouche et le troisième, ses oreilles : « Ne vois pas le Mal, n’entends pas le Mal, ne dis pas le Mal. » À celui qui suit cette maxime n’arriverait que du bien.

J’ajouterais que la peur des représailles réduit au silence même le plus bavard d’entre nous.

« On a besoin de bras », clame-t-on sur toutes les tribunes et sur tous les tons. Les personnes proches aidantes sont appelées en renfort. « Il faut préserver leur santé mentale. » Les aidants et les aînés pourront se retrouver.

Une question reste entière toutefois. Au-delà de l’indignation qui a saisi le Québec tout entier, savons-nous protéger nos aînés en leur assurant des environnements de qualité et des services adéquats ? « Un Québec fou de ses vieux ! » Vraiment ? Au-delà de cette indignation et des plus belles paroles, c’est le verbe que nous voulons entendre, un verbe d’action.

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