À peu de choses près, le président et chef de la direction de Québecor, Pierre-Karl Péladeau, s’est posé en sauveur des artistes et des créateurs pour justifier son intervention vis-à-vis du Cirque du Soleil.

Selon ses dires, ce sont elles et eux qui ont construit cette entreprise phare de nos industries créatives et culturelles, voilant indirectement le rôle des fondateurs et des gestionnaires dans la valorisation de la marque la plus inspirante, la plus influente et la plus internationale de l’histoire du show-business canadien.

Pierre-Karl Péladeau n’a certainement pas tout faux. Les créateurs et artistes détiennent une énorme part de responsabilité des succès du Cirque du Soleil depuis sa fondation à Baie-Saint-Paul, en 1984. D’autant plus que la troupe fondatrice, animée par Guy Laliberté, Daniel Gauthier et Gilles Ste-Croix, était elle-même constituée d’artistes de rue particulièrement visionnaires, inventifs et combatifs. Le Grand Saltimbanque, personnifié par Gilles Ste-Croix, longtemps directeur de création au Cirque du Soleil, avait même parcouru la distance de Baie-Saint-Paul à Québec perché sur des échasses pour attirer les regards et exprimer l’originalité des idées de la troupe.

Bref, l’histoire du Cirque du Soleil s’est effectivement construite par la créativité… et un modèle d’affaires fondé sur le contrôle entêté de la propriété intellectuelle entre les mains de citoyens québécois et canadiens. C’est un secret de polichinelle que les vautours ont été nombreux autour des fondateurs pour infléchir cette ligne de conduite et propulser le Cirque dans une économie de locataire de ses propres idées, au nom d’une « gestion responsable du risque et du bon usage des capitaux ». Le concept de l’innovation bleue récemment lancé par l’entrepreneur à grand succès Louis Têtu résonnait déjà dans la tête du Cirque du Soleil il y a 35 ans. Le fait n’est pas banal dans un écosystème qui valorise la propriété intellectuelle de manière bien invariable, souvent avec l’appui inconscient des pouvoirs publics.

Le Cirque du Soleil est durement frappé par la pandémie qui secoue la planète : 44 spectacles annulés en quelques jours, des artistes à rapatrier, des décors et équipements de scène à ranger en attendant la résolution de la crise. D’un seul coup, plus de revenus. Zéro. Qui peut nommer une entreprise de spectacle d’envergure mondiale dont les entrées de fonds ont été réduites de milliards à zéro d’une traite ? L’effet dévastateur aurait été bien moindre si Guy Laliberté et ses complices avaient jadis, même partiellement, cédé aux chants des sirènes qui voulaient s’approprier le Cirque. Parole de Michael Eisner. L’économie de propriétaire à laquelle fait référence Louis Têtu comporte ses risques, mais n’en valaient-ils pas la chandelle dans la phénoménale croissance du Cirque et de l’étendue planétaire de son rayonnement ?

Le Cirque du Soleil traverse une crise profonde et douloureuse, qui nécessitera, selon les gouvernements auxquels il fait appel, une restructuration de son capital et de sa dette. Soit. Des erreurs ont été commises ? À ce compte-là, Hollywood serait vidée de tous ses dirigeants.

Le leadership qu’assume l’entreprise dans les industries créatives est si fondamental qu’il importe non seulement de préserver son modèle d’affaires fondé sur la créativité et la propriété intellectuelle, mais de le répandre dans toutes les sphères des industries culturelles.

Or, depuis que Guy Laliberté leur a cédé le contrôle du Cirque du Soleil en 2015, les nouveaux actionnaires tout étrangers qu’ils sont ont peu dérogé à ce modèle. Les pouvoirs publics et les fonds d’investissement sous leur gouverne doivent mettre cela en perspective dans leurs propositions d’accompagnement pour la sortie de crise. Aucune entreprise créative au Canada n’a fait autant que le Cirque pour défier les créateurs d’ici, stimuler le talent, investir dans les idées, réinventer l’art du cirque, bâtir la renommée du pays, créer plus de 5000 emplois directs et des milliers indirects. Par sa propre volonté, souvent avec ses seuls moyens, avec peu d’aide publique.

Le plan de relance, jusqu’à démonstration du contraire, devra se faire avec les acteurs en place pour en assurer la continuité des affaires et la pérennité de son modèle d’affaires. Il vaut bien celui de multinationales venues ici puiser dans notre force créative et installer ailleurs la résidence de leur propriété intellectuelle.

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