La relève du Québec, en provenance des sciences naturelles, humaines et sociales, propose une réflexion sur les nombreux défis qui attendent la société québécoise pour affronter la crise de la COVID-19 et en sortir. *

Alors que la distanciation physique restreint les déplacements des Québécois, les citadins sont plus que jamais conscients de l’importance des espaces verts locaux. Pour eux, mettre leur quotidien « sur pause » signifiait souvent sortir de la ville, pour aller camper, faire de la randonnée, pagayer dans les rivières qui traversent nos parcs nationaux. À cet égard, les spécialistes s’entendent pour affirmer que le temps passé dans la nature est essentiel pour la santé mentale et physique.

Il est donc problématique que plusieurs quartiers urbains ne disposent pas d’infrastructures vertes qui répondent à ce besoin. À Montréal, même les déplacements vers l’ouest de l’île, considérablement plus vert, ou du côté de notre cher mont Royal, sont découragés s’ils nous amènent hors de notre quartier résidentiel.

Ces mesures de santé publique représentent un élément important pour « aplatir la courbe », comme le veut l’expression consacrée ; et nous avons la chance, au Québec, que les fonctionnaires aient travaillé pour que les parcs municipaux locaux demeurent ouverts pour la pratique sécuritaire de plusieurs activités physiques. Mais ces espaces sont-ils suffisants ? La présente crise sanitaire nous engage à y réfléchir, pour le long terme : il s’agit d’une occasion unique pour plaider en faveur de villes plus vertes, et plus équitables.

Il faut cultiver notre jardin

Certains ont la chance d’avoir une cour extérieure privée. Les quelques mois à devoir se tenir loin des parcs naturels et des sentiers publics peuvent leur sembler plus faciles à gérer. L’envie de plonger nos mains dans la terre et de faire pousser quelque chose pendant les périodes difficiles est souvent forte et, de fait, les magasins de semences se vantent de manquer de stocks. Plusieurs experts s’attendent même à une prolifération de ce qu’on appelle les « jardins de la résilience » (en hommage aux « jardins de la victoire » en temps de guerre).

Or, le jardinage apporte non seulement des avantages pour la santé mentale de ceux qui s’y adonnent, mais il est également source d’aliments locaux pour soi comme pour la communauté de première proximité.

Plus encore, il regorge de ressources fondamentales pour nos « partenaires non humains » — les centaines d’espèces d’oiseaux et d’abeilles avec qui nous partageons la ville et qui bénéficient de nos plantations. En tant qu’écologiste urbaine, j’estime qu’en consacrant plus de temps au développement de la nature hyper-locale, nous faciliterons la transition entre une pelouse parfaitement entretenue et l’intégration d’une riche dynamique de biodiversité dans notre environnement. Bref, comme le disait candidement Voltaire : « Il faut cultiver notre jardin. »

Du jardin secret au jardin commun

Cependant, l’accès à un espace vert privé est un luxe qui échappe à de nombreux résidants urbains. Pour la majorité d’entre nous, orphelins d’un jardin secret, ce sont les parcs locaux, même les trottoirs bordés d’arbres, qui offrent un répit au confinement de nos vies de plus en plus intérieures et « en ligne ». C’est pourquoi l’accès à un espace vert, à un jardin commun, ne devrait pas être considéré comme une simple commodité : c’est plutôt quelque chose d’essentiel pour la santé mentale et physique de tous. Pourtant, les citadins n’y ont pas tous accès ; en fait, contrairement à la COVID-19, tous ne sont pas affectés de la même manière par ce problème.

Le déficit d’espaces verts locaux s’intensifie effectivement dans les quartiers à faibles revenus.

Si ces quartiers accueillent une densité de population plus importante que la moyenne, ils hébergent toutefois beaucoup moins d’arbres, et disposent d’un nombre de cours privées moindre qu’ailleurs. Cette injustice environnementale, profondément ancrée dans l’écosystème de nos villes, apparaît depuis longtemps comme une évidence pour ceux qui travaillent et étudient dans les domaines de l’aménagement urbanistique. Néanmoins, la COVID-19 permet de jeter une lumière nouvelle sur ce problème — surmontable —, et nous oriente vers une plus grande reconnaissance publique des conséquences qui en découlent.

Quelques propositions

Les villes ont les moyens de régler ce problème. Un point de départ serait de restreindre aux voitures beaucoup plus de segments du réseau routier urbain, augmentant ainsi considérablement l’espace pour les cyclistes et les piétons. Une autre option serait d’aménager plusieurs tronçons de rue à vitesse réduite.

Ces solutions à court terme sont certes intéressantes. Toutefois, un véritable changement vers des villes durables requiert un engagement à long terme. Pour semer de l’espoir, tâchons de canaliser l’énergie qui découle de cette prise de conscience accrue de l’importance de la nature urbaine pour réfléchir à la manière dont les quartiers, construits pour les voitures, plutôt que pour les personnes, doivent être repensés complètement.

* Ce dossier est coordonné par Catherine Girard, Isabelle Laforest-Lapointe et Félix Mathieu, respectivement de l’Université Laval, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université du Québec à Montréal.

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