La lettre s’adresse à la ministre de la Santé, Danielle McCann

Madame la Ministre, c’est avec étonnement et colère que les intervenants sur le terrain ont pris connaissance de vos déclarations des derniers jours. Ainsi, selon vos dires, il n’y aurait plus d’omerta dans les CHSLD. S’il faut d’abord souligner votre courage pour reconnaître l’existence du phénomène, encore faut-il démontrer une volonté politique pour dévoiler publiquement les mécanismes qui sont à l’origine de l’omerta ; et surtout, encore faut-il être à même de faire connaître publiquement les moyens appliqués pour y mettre fin. Cela étant dit, qu’en est-il de vos initiatives ? À vous entendre, on dirait qu’il suffit de crier « ciseau ! » pour mettre fin à l’omerta.

On ne compte plus maintenant le nombre de fois où vous avez dit que l’omerta était terminée depuis votre entrée en poste. Cependant, madame la Ministre, à quoi faites-vous référence ? De quoi parlez-vous, au juste ? Est-ce un silence imposé qui empêche les employés de communiquer les problèmes à leurs supérieurs ? Ou un silence imposé qui empêche vos directeurs d’établissements de communiquer lesdits problèmes avec vos hauts gestionnaires ? Ou encore est-ce le silence qu’on impose aux employés en leur interdisant de s’adresser aux médias ?

Pour notre part, ce qui retient notre attention, c’est ô combien vous réussissez à éviter de commenter l’instrument principal à partir duquel vos gestionnaires imposent la culture du silence. En effet, c’est au moyen du devoir de loyauté que vos gestionnaires réussissent à convaincre vos employés de s’emmurer dans le silence. Comment, madame la Ministre, pouvez-vous affirmer que l’omerta est terminée alors que vous continuez sciemment à laisser vos gestionnaires utiliser à leur guise l’instrument par lequel advient l’omerta ?

Quand vous dites « on veut savoir ce qui se passe sur le terrain », le « on » fait référence à vos gestionnaires. Or, il faut savoir que lorsque les employés donnent une information aux gestionnaires, celle-ci ne remonte pas toujours dans la hiérarchie. Elle peut être gardée en otage ou tabletée ; puis, devant l’impatience légitime de l’employé, la direction finit par l’intimider en le menaçant de représailles s’il en vient à transmettre cette information aux médias.

Les gestionnaires du terrain et les directeurs vont souvent eux aussi éviter de faire remonter les informations jusqu’à vous et à votre ministère, par crainte d’être tenus responsables des problèmes rapportés. Voilà, madame la Ministre, une parcelle du terreau à partir duquel germe l’omerta.

Par ailleurs, en même temps que vous affirmez la fin de l’omerta, ne venez-vous pas, dans la même semaine, de tolérer que les établissements (CISSS de Laval, entre autres) s’approprient plus de pouvoir pour l’imposer ? En effet, alors que le traditionnel devoir de loyauté exige des employés qui parlent aux médias de ne pas remettre en cause l’intégrité de leur établissement ou de leur gestionnaire, voilà que certains établissements viennent de décréter une interdiction totale de parler aux médias. Aucun employé, médecins compris, ne serait autorisé à leur parler sans l’aval de la direction.

Loyauté

Madame la Ministre, sachant que le devoir de loyauté est la main par laquelle l’omerta s’impose, pouvez-vous affirmer que les intervenants qui parlent aux journalistes ne seront pas mis en faute face à leur devoir de loyauté ? Êtes-vous prête à fournir des preuves écrites de ces directives envoyées aux établissements ? 

Voyez par vous-même, madame la Ministre : nous sommes encore loin de la fin de l’omerta. En ce qui nous concerne, et il nous faut le dire haut et fort, c’est d’abord envers la population que les intervenants ont un devoir de loyauté, et non envers les établissements. Saluons ici par ailleurs le courage des Marie-Ève Bouffard, Gaétan Bouchard, Nadia Lambert, Amina Khilagi, Josée McGrath et Nathalie Stake-Doucet de ce monde.

Enfin, si vous avez sincèrement l’intention de mettre fin à l’omerta, pourquoi ne passez-vous pas de la parole aux actes, en vous appropriant la motion suivante (proposée par l’opposition) que vous et votre gouvernement avez rejetée en décembre dernier, sans même vouloir en débattre : 

– que l’Assemblée nationale reconnaisse le droit de tous les acteurs du milieu de la santé, y compris les directions des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), à donner publiquement leur avis sur la gestion dans le réseau de la santé ;

– qu’elle encourage les directions des CISSS-CIUSSS et l’ensemble des acteurs du réseau à dénoncer toute pression jugée indue et visant à brimer leur droit d’exprimer librement leur opinion concernant la gestion dans le réseau de la santé ;

– et qu’elle reconnaisse que la culture de représailles et d’intimidation exercée par des gestionnaires du réseau de la santé est néfaste pour les travailleurs et les travailleuses ainsi que pour la santé de la population du Québec.

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