Québec veut envoyer les chômeurs aux champs cet été et il a mis en place deux primes (la PIRTE et la prime « J’y vais sur-le-champ ») de 100 $ par semaine chacune.

Cette nouvelle a fait bonne impression, mais cache des inéquités choquantes : les primes seront remises uniquement aux employés agricoles au salaire minimum. Évidemment, moi et un grand nombre des membres de la CAPÉ et des entreprises agricoles de petite et moyenne taille en sommes outrés. 

Si on additionne les primes, ce sont toutes les personnes qui gagnent entre 13,11 $ et 17,85 $ de l’heure qui seront désavantagées par rapport aux travailleurs qui gagnent le salaire minimum. Ça nous apparaît comme un non-sens et j’entends déjà des gestionnaires de ferme qui se demandent comment contourner les règles pour éviter de démotiver leur équipe et de payer des salaires plus élevés, découragés par la logique gouvernementale. 

L’agriculture biologique de proximité bénéficie, depuis le début de la crise, d’une vague d’amour du gouvernement comme du public. Des clients, tout comme des travailleurs potentiels, affluent. Nos entreprises, souvent issues d’une relève agricole non-apparentée, ont su diversifier leurs productions et mettre en marché directement leurs produits, ce qui leur permet d’attirer des personnes compétentes et éduquées en leur sein et de leur offrir plus que le salaire minimum, afin qu’elles puissent gagner leur vie dignement. Malgré nos efforts en gains d’efficacité, formation et diversification, nos équipes sont sous-payées, eu égard à leur niveau de formation et d’expérience.

Mais nous avons la chance de compter sur la passion que titille le travail respectueux de la terre et la sécurité alimentaire des communautés. 

Comment vais-je annoncer à mon équipe, la semaine prochaine, que notre échelle salariale tombe à l’eau ? Que les nouveaux, les stagiaires en cours de formation, gagneront au net plus que notre équipe fidèle cette année ? 

Notre secteur sacrifié

Notre secteur, qui valorise l’expérience et les compétences des travailleurs saisonniers récurrents, se sent clairement sacrifié et la mesure qui nous apparaissait un excellent moyen de valoriser publiquement notre profession, nous semble désormais réservée aux grandes entreprises dont la main-d’œuvre est en grande partie étrangère.

Nous en avons assez d’entendre l’État jaser de souveraineté alimentaire en niant l’existence, les besoins et la valeur de ceux qui la pratiquent dans sa forme la plus directe. Cette offre de programme à l’emporte-pièce découle d’un manque de vision flagrant du Québec pour son agriculture. Que s’est-il décidé depuis le rapport Pronovost de 2008 ? On parle beaucoup de souveraineté alimentaire, mais que fait-on collectivement, pour soutenir ceux et celles qui la pratiquent ?

Je tiens à remercier les centaines de milliers de Québécois qui se sont déjà abonnés à un panier bio auprès d’un fermier de famille ou qui fréquenteront leur marché public cet été, malgré les mesures qui, sans doute, en changeront l’ambiance. C’est ensemble que nous démontrons notre résilience et contribuons à bâtir un monde plus juste.

* L’auteure est également agricultrice copropriétaire de la ferme Croque-Saisons

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