Je suis musicien, donc je ne suis peut-être pas officiellement « essentiel » ! C’est peut-être vrai et je l’assume. Car avant d’écouter de la musique, il faut être vivant. Il faut se nourrir, il faut être soigné, il faut se loger. Mais dans les derniers jours, je me suis rendu compte que pour moi et pour tous les artistes et créateurs, faire des concerts ou des évènements culturels, c’est éminemment essentiel.

L’autre jour, je suis passé par les magasins à grande surface. J’y ai vu plusieurs personnes s’achetant des commandes de milliers de dollars de bois traité pour se faire un deck « essentiel », un barbecue importé « essentiel », etc. Bref, on a quand même pas mal élargi ce qui est « essentiel » pour notre riche société d’aujourd’hui.

Ce qu’il faut souligner, c’est qu’il y a 300 ans, alors que de grandes villes et des capitales d’Europe n’avaient pas de systèmes d’égouts souterrains, les artistes et créateurs étaient extrêmement actifs et nous ont donné des œuvres qui perdurent dans le temps et qui représentent ce que nous sommes en tant qu’humains. Dans 500 ans, les neuf symphonies de Beethoven et le répertoire de Mozart, Bach et bien d’autres, le contenu des grands musées, les œuvres littéraires de grands auteurs et les tubes de nos plus grands groupes et artistes populaires, rock, jazz, etc., existeront encore.

Parce que la création artistique, oui, c’est essentiel à l’humanité.

Ce que la majorité d’entre nous faisons actuellement au quotidien, c’est vivre et survivre. Certains artistes et architectes se chargent de notre legs sociétal, mais 99,9 % de nous ne vit qu’au jour le jour, et nous nous soucions de nos petites vies, de nos petites familles. Et ce, à l’échelle planétaire.

En se basant donc sur le mot « essentiel », en sachant que celui-ci veut dire bien des choses différentes pour chacun de nous, puis-je me permettre de proposer que pour nous musiciens, jouer des concerts, c’est essentiel à notre survie physique et psychique ? Un mois sans concert, c’est très difficile, mais cela peut être salutaire… deux mois sans concert passe encore, on peut faire autre chose. Mais trois ou quatre mois sans concert, encore moins. Cinq mois ? Je ne peux même pas y penser. Ce serait bien triste…

Si les électriciens et les plombiers peuvent travailler en respectant les 2 mètres entre eux et leurs confrères sur les chantiers, nous pouvons faire la même chose et jouer des concerts distancés sur scène. Je suis prêt à jouer loin de chacun de mes collègues, et à proposer une distance de 2 mètres entre chaque membre du public. Je suis prêt à baisser mes revenus et mes cachets pour faire face à cette nouvelle réalité sociale. Je suis prêt à renoncer à voyager pour donner des concerts afin de favoriser le développement du mouvement « acheter local » et me concentrer sur mon marché régional.

M’empêcher de donner des concerts, ou m’envoyer des signaux plutôt flous sur les règles du jeu n’est pas une option.

C’est ce qui s’est produit il y a quelques jours. On nous annonce qu’il n’y aura pas de festivals cet été (50 % des revenus annuels de beaucoup d’artistes proviennent de concerts d’été et de festivals). En revanche, quelques minutes plus tard, on nous dit que les équipes sportives seront exemptées de ces mesures d’annulation. Allez comprendre !

Personnellement, je crois qu’on devrait, comme société, faire le choix de bonifier un système couvrant les institutions artistiques et les artistes. Le coût de maintenir des institutions et des artistes en vie sont minimes pour la société, et on pourrait, en tant que pays, penser que c’est important que les concerts continuent et reprennent en même temps que la construction. On peut faire des concerts diffusés en ligne, sachant que la musique est déjà sur le respirateur artificiel depuis la destruction massive de l’industrie du disque.

Nous « rapprocher » du public

Je constate qu’à part Montréal et Québec, il y a des centaines de villes qui n’ont même pas accès à un seul concert de musique classique par année.

Tout en respectant la distanciation physique, c’est nous qui devrions faire des efforts pour aller vers le public, pas le contraire.

Si nous sommes d’accord que les concerts sont un bien essentiel, même si cela signifie jouer dans toutes les petites, moyennes et grosses églises du Québec, alors je le ferai avec enthousiasme. Et s’il faut inclure une portion de nos saisons de concerts dans des maisons pour aînés ou des lieux accessibles pour cette importante partie de notre société, alors je le ferai également avec bonheur.

C’est avec humilité et énergie que je demande à nos élus de nous considérer comme un bien essentiel à la société, au même titre que toutes les autres professions exercées au Québec. Bauer fait des visières, Tristan fait des masques et l’Orchestre symphonique de Longueuil peut faire des concerts à l’extérieur des résidences pour aînés pour ce public oublié.

Permettez-nous de jouer, Monsieur le Premier Ministre, nous vous en supplions.

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