Avec la tragédie des CHSLD, dont l’ampleur ne fait que croître, surgissent des questions simples de plus en plus persistantes, la première étant : « Comment en est-on arrivés là ? »

Viendront ensuite éventuellement des enquêtes et des blâmes. On entend déjà le premier, terrible : « C’est votre faute. Vous n’aviez qu’à venir voir vos parents et à vous en occuper. » C’est un peu court. On pouvait très bien voir des parents ou des amis et se plaindre du sort qui leur était fait sans jamais obtenir de résultat, sinon des représailles. Pourquoi ?

Pour arriver à corriger la situation, il va falloir commencer par reconnaître qu’à côté des vrais héros et du personnel dont la générosité et la compétence vont bien au-delà de ce qu’on est en droit d’exiger d’eux, il y avait, il y a encore, des zéros, et c’est eux qui sont responsables du drame actuel et qu’il faudra identifier et blâmer. Derrière les processus anonymes et l’inertie fatale des administrations, il y a des individus qui ont plombé ce système et torpillé le travail de leurs collègues. Il faudra voir comment cela s’est produit pour pouvoir y remédier.

Ceux qui ont été en contact avec le système de santé ces dernières années ont vu tous les hôpitaux, les CHSLD, les CISSS, les CIUSSS et autres se doter d’une multitude de protecteurs du citoyen, d’ombudsmans, de médiateurs ou de commissaires aux plaintes et à la qualité des soins (!).

Mais que faisait donc tout ce beau monde ? direz-vous. Où étaient-ils ? N’ont-ils jamais reçu de plaintes ?

Je peux donner un début de réponse ou, en tous les cas, étoffer la question à partir d’expériences personnelles. Disons d’abord que j’ai été pendant un certain temps assistant du Protecteur du citoyen du Québec et que, plus tard, j’ai contribué à mettre sur pied le Bureau de l’Ombudsman de l’ONU. C’est dire que c’est un sujet qui m’intéresse. Puis, j’ai aidé des amis en fin de vie et d’autres personnes à présenter des plaintes qu’ils avaient contre des organes du système de santé, plaintes qui me semblaient fondées et solidement documentées.

Trois exemples : a) une plainte contre une médecin qui a déménagé de son lieu d’affectation en abandonnant un grand nombre de clients sans même les conseiller sur les démarches à faire pour la suite (plainte contre la commissaire aux plaintes et à la qualité des services) ; b) une plainte à l’ombudsman de l’Hôpital général juif pour divers motifs ; c) une plainte au Collège des médecins contre un médecin qui prétendait, par écrit, être le médecin de ma cliente, alors qu’elle ne l’avait jamais vu et ne le connaissait pas. Je pourrais en citer plusieurs autres.

Noyer le poisson

Aucune de ces plaintes n’a abouti de façon satisfaisante. Dans le premier cas, on a fait traîner la plainte pendant très longtemps pour finir par dire que la commissaire n’avait pas compétence ; dans celui de l’Hôpital général juif, le commissaire adjoint a rejeté la plainte sans jamais avoir communiqué avec le plaignant pour connaître sa version des faits ; dans le cas du Collège des médecins, la plainte a été rejetée péremptoirement puis rejetée de nouveau en appel, malgré une solide documentation sur la façon de traiter ce type de problèmes ailleurs.

Je connais de nombreux cas de ce genre, certains vraiment absurdes et pénibles. Et je retiens des conversations autour de moi que cela semble la règle.

Une enquête devrait nous permettre de comparer ce nombre avec la quantité de plaintes considérées comme fondées et, le cas échéant, de chercher des explications. On dirait que ces multiples bureaux de plaintes concentrent leurs efforts sur le rejet de plaintes au prétexte qu’elles sont non recevables ou non fondées et considèrent que leur rôle est avant tout de noyer le poisson et de préserver la réputation de l’établissement ou du service.

Or, c’est exactement le contraire du rôle d’un ombudsman, qui est de recevoir et d’examiner les plaintes afin de régler un problème et d’améliorer le service. D’ailleurs, c’est bien ce qui semble avoir guidé le Protecteur du citoyen du Québec, qui a eu le mérite de dénoncer la situation des CHSLD dans divers rapports et interventions. On ne peut que déplorer qu’il n’ait pas été entendu. Et pendant tout ce temps, que faisaient donc tous ces commissaires, ombudsmans, protecteurs, médiateurs et autres ? À quoi servaient-ils ?

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