La prospective est à la mode ces temps-ci. Chacun d’entre nous pronostique ou rêve aux changements qui pourraient survenir une fois arrivés « de l’autre côté de la pandémie ». Parmi les bouleversements espérés ou redoutés, plusieurs concernent les villes et les interactions entre leurs habitants, certains prédisant même la fin de la ville.

À première vue, on peut comprendre cette réaction anxieuse : plusieurs grandes villes sont touchées et, tout près de nous, les situations de New York et de Montréal inquiètent. La densité est souvent mise au banc des accusés.

Mais il faut rappeler que si les grandes villes sont fortement touchées par les épidémies, c’est avant tout parce qu’elles en sont la porte d’entrée et qu’elles sont le lieu de nombreux échanges culturels et économiques. Les ports, les aéroports, les grands rassemblements (congrès, spectacles, évènements sportifs) s’y trouvent pour la plupart.

On peut observer par ailleurs que des villes asiatiques à la densité supérieure à celle de Montréal, comme Singapour ou Hong Kong, sont jusqu’ici bien parvenues à limiter l’épidémie. C’est une illustration que la densité n’empêche pas la distanciation physique et le contrôle des maladies infectieuses au XXIe siècle.

Prenons un pas de recul historique pour nous rappeler que le fait urbain n’a pas faibli en dépit des malheurs qui ont pu l’affecter. Les épidémies ne sont pas une plaie récente, et ni la peste ni le choléra n’ont empêché globalement les villes de prospérer. De même, après s’être avérées des cibles de choix pour les bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale, les villes ont tout de même été reconstruites.

Les grandes catastrophes qui ont touché les villes ont plutôt contribué à les améliorer qu’à les faire abandonner, et c’est en partie aux épidémies passées que nous devons nos égouts, nos aqueducs, nos grands parcs.

Dans la fièvre de la crise, il est parfois rassurant de s’imaginer un « monde d’après » complètement différent, mais l’histoire nous apprend que les choses ne changent pas tant que cela. D’ailleurs, pensons-y un instant : reconstruire nos villes sous le seul angle de la distanciation physique serait une catastrophe écologique et un gouffre financier.

Si les villes de demain doivent s’adapter, c’est beaucoup plus à des tendances de fond et à des besoins permanents qu’aux impératifs transitoires liés à la pandémie, qui ne doit pas devenir notre seule obsession.

Parce que oui, nos villes devront changer.

Défis d’avant, défis d’après

Dans la vie d’avant, nous faisions face à des défis, comme l’iniquité et les changements climatiques, qui vont persister dans la vie d’après. Ce sont ces enjeux qui doivent devenir notre grille d’analyse dans la réflexion que suscite ce moment de pause.

Il n’y a d’ailleurs pas de contradiction entre, d’une part, s’attaquer à ces enjeux fondamentaux et, d’autre part, rendre nos villes plus résilientes aux épidémies.

Nous pouvons et devons miser dès maintenant sur la ville de la sobriété, de la proximité et de l’efficacité, par diverses mesures dont voici quelques exemples : 

– Mettons un frein à l’étalement urbain pour protéger des terres agricoles qui pourront, au besoin, accueillir une production nourricière et soutenir des systèmes alimentaires de proximité ;

– Donnons plus d’espace aux déplacements actifs, maintenant que nous avons redécouvert leurs vertus pour notre santé mentale ! Ce qui favorise, en temps normal, leur pratique devient crucial, nous l’expérimentons aujourd’hui, quand piétons et cyclistes doivent se tenir à distance les uns des autres ;

– Préservons un tissu commercial de proximité, abondant et diversifié : nous réduirons la dépendance à l’automobile et éviterons, en cas de crise, autant les attroupements que la pénurie ;

– Plantons des arbres pour améliorer la qualité de l’espace public et créer, au pied de chez soi, des îlots de fraîcheur qui seront bienvenus si le confinement coïncide avec une vague de chaleur ;

– Construisons beaucoup de logements abordables et de qualité : ceux qui sont mal chez eux seront pénalisés s’ils doivent s’isoler. Une crise du logement, c’est la pire chose à subir en temps de confinement.

La crise que nous vivons nous incite à accélérer ces transformations, au-delà des projets pilotes et des initiatives ponctuelles. C’est à grande échelle que le changement doit s’opérer pour être à la hauteur de la crise climatique, de la crise sociale et, peut-être un jour, d’une nouvelle crise sanitaire.

Nous ne vivrons pas pour toujours à 2 mètres de distance les uns des autres. Tôt ou tard, nous recommencerons à nous rassembler. L’été, le Québec continuera de vivre au rythme de ses festivals et l’hiver, nos arénas se rempliront à nouveau.

En attendant, attelons-nous à changer nos villes pour le mieux, dès maintenant.

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