Nous avons frappé la pointe de l’iceberg. Le navire prend l’eau et nous avons besoin d’une solution provisoire pour colmater les fuites et éviter le naufrage.

Nous ne sommes toutefois pas sur le Titanic. Il s’agit plutôt d’un système de soins de santé en crise qui mène notre gouvernement et le personnel médical à trouver des solutions rapides pour venir à bout de la catastrophe qui sévit actuellement dans les établissements de soins de longue durée en temps de pandémie de COVID-19.

La semaine dernière, au Québec, le gouvernement Legault a annoncé qu’une personne soignante désignée par patient pourrait réintégrer les établissements de soins de longue durée dans certaines circonstances. Les détails demeurent ambigus et il n’est pas évident si cela comprend les aidants familiaux ou les personnes soignantes rémunérées.

Ce qui est toutefois manifeste, c’est que les familles qui tentent d’être réintégrées se heurtent à des obstacles bureaucratiques qui, à l’heure actuelle, les empêchent de reprendre leur rôle et de fournir des soins individualisés indispensables.

Par exemple, les consignes stipulent que les aidants doivent faire un test de dépistage et obtenir un résultat négatif avant de pouvoir avoir accès aux établissements pour personnes âgées. Cependant, en l’absence de symptômes de la COVID-19, ils n’ont pas accès au test.

Entre-temps, la situation est devenue si désespérée que le gouvernement fédéral a maintenant déployé des membres des Forces armées canadiennes médicalement formés pour offrir du renfort aux établissements de soins de longue durée de la province. Leur contribution est favorablement accueillie.

Cependant, tandis qu’ils tentent de lutter contre cet ennemi invisible, posons-nous la question suivante : alors que nous devons tous nous présenter sur le pont, pourquoi des soldats avec peu d’expérience en soins de longue durée ont-ils rapidement accès à des personnes âgées à l’intérieur des établissements alors que les membres de la famille, qui ont toujours été présents et ont l’expérience personnelle pour fournir les soins nécessaires, se retrouvent à l’extérieur ?

Établissons clairement que, avant cette pandémie, les familles apportaient une continuité essentielle au soutien des personnes âgées vulnérables, contribuant aux soins de façon observable en aidant aux tâches physiques, notamment manger, s’asseoir, marcher et se laver. Elles apportaient également, de façon moins évidente, un soutien émotionnel, linguistique et social dont dépend la santé mentale des personnes âgées, sachant qu’un proche cherche leur bien et prend leur défense. En agissant à titre d’interprète pour les personnes qui ne sont pas en mesure de communiquer en français (ou en anglais), percevant les changements à leur santé et à leur comportement, sachant les aliments qu’elles aiment ou non et reconnaissant quand elles sont heureuses ou tristes, les familles fournissaient des soins personnalisés que notre système n’est plus en mesure d’offrir.

En début de pandémie, les familles ont été mises à l’écart et le navire a commencé à prendre l’eau.

La dévastation dont nous sommes témoins dans les établissements de soins de longue durée a ébranlé notre conscience collective. Nous sommes confrontés à un problème systémique plus important qui se profile depuis des décennies et touche les populations stigmatisées comme les personnes âgées et celles vivant avec une maladie mentale.

En tant que société, nous avons continuellement fermé les yeux devant ces populations et, par conséquent, les domaines médicaux spécialisés comme la gériatrie et la psychiatrie ont été grossièrement sous-financés et ne reçoivent pas le soutien nécessaire pour prendre soin adéquatement de certains de nos citoyens les plus vulnérables. 

Ainsi, nous nous retrouvons avec des budgets amputés, moins de lits, du personnel sous-payé, de la recherche sous-financée, un système submergé et ce sont les bénéficiaires qui en paient le prix. Par conséquent, les familles se retrouvent à réparer les pots cassés depuis des années et à offrir des soins que le système peine à fournir. Les familles étaient donc aux premières lignes, mais en coulisse. C’est-à-dire jusqu’à ce que les portes se referment pour quiconque n’était pas jugé comme fournissant un soin essentiel, les familles ne faisaient alors pas partie du lot.

Tôt ou tard, notre système de soins de santé allait immanquablement se heurter à un iceberg. Alors que nous nous efforçons de trouver des solutions provisoires pour l’empêcher de couler au cours de la pandémie de COVID-19, n’oublions pas que la partie submergée de l’iceberg représente un danger plus préoccupant. À l’avenir, nous devrons être davantage à l’affût et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter de nous retrouver dans un nouveau Titanic.

En terminant, je tiens à saluer les efforts extraordinaires faits au quotidien par les représentants de nos gouvernements et le personnel de la santé. Personne n’a de réponses absolues à la situation ; nous nous posons sans cesse de nouvelles questions et tirons de nouvelles leçons selon l’évolution et la portée de ce nouveau coronavirus.

Cette lettre ne se veut pas une critique du travail indéfectible accompli aux premières lignes, mais plutôt un commentaire qui, je l’espère, apportera une introspection utile tandis que nous poursuivons le combat contre la COVID-19.

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