Une marche dans la forêt. Dans le silence. Des odeurs de terre mouillée. À la cime des arbres, on voit poindre du vert tendre. En ville aussi, c’est sorti. Bientôt tout sera enfeuillé. Un autre cycle. Je « marque » les arbres à abattre l’an prochain.

Au retour, j’ai lu des contes. On connaît assez bien ceux de Jacques Ferron, mais me suis arrêté sur les Contes de bûcherons d’un vieux conteur nommé Isaïe Jolin. Des histoires orales colligées par un ethnologue, Jean-Claude Dupont. Il est surprenant de constater combien l’oralité nous définit encore. Tout de suite après, par des détours de hasard, j’ai relu plusieurs passages de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. Avec des conséquences heureuses. Comme une fenêtre ouverte au vent. Comme quand on sent le printemps sur sa peau. Comme après un verre de vin, ou un effort physique.

Des mots, oui, mais leur forme aussi. On me raconte des histoires. Que ça fait du bien.

Plus tôt cet hiver, lors d’une rencontre publique, une jeune femme début vingtaine m’a posé une question qui résonne encore aujourd’hui plusieurs mois plus tard : 

– Est-ce que ça existe encore de la fiction en création ?

Ça m’a soufflé. Jusqu’ici. Maintenant. D’abord parce que c’est une question légitime, mais surtout car elle venait d’une personne qui vit dans une époque qui se met en scène à outrance. Un monde qui étourdit parce que tout tourne autour de soi.

C’est l’imaginaire qui en a pris un coup. Déjà que trop de littérature et de création étaient confinées au narcissisme des sentiments des auteurs-autrices. Et ce, depuis quelques décennies. Me suis dit que la situation de crise actuelle allait peut-être crever l’abcès de cette enflure de soi. D’autres gens vivent, autour et en nous. On découvre des histoires. D’autres histoires. Et elles nous ressemblent davantage.

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« Me suis arrêté sur les Contes de bûcherons d’un vieux conteur nommé Isaïe Jolin. »

L’histoire de Florentine Lacasse du roman Bonheur d’occasion n’est pas le témoignage d’une personne, mais une histoire dont les échos vont bien au-delà des murmures du « je » contemporain. Quand la jeune femme rêve de porter sa robe de soie noire, ses plus beaux bas et ses souliers vernis, ça devient un sentiment universel. Quand Gabrielle Roy trace les limites du « monde » par leurs classes sociales, ça illustre une réalité. Et on prend la mesure des désirs amoureux, qui n’ont pas beaucoup changé. Quatre-vingts ans plus tard.

La force d’une histoire racontée, c’est d’évoquer. Et l’évocation manque cruellement ces jours-ci.

Le pouvoir qu’on donne à l’imaginaire est mille fois plus puissant que celui qu’on prend par la force. Il fait bon, de temps en temps, sentir que l’artiste n’est pas au centre du monde ; c’est l’art qui doit l’être. On l’avait un peu oublié. Surtout quand l’ambiance est une histoire d’horreur. Ce serait le fun que la fiction dépasse la réalité. Rajuster les sentiments. On serait dus.

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