Cher commerçant de mon quartier, de ma ville, de ma province, de mon pays et de mon monde, je voulais juste te dire que je m’inquiète de toi et que je m’ennuie de toi.

Depuis plusieurs semaines, tu as fermé ton commerce, tu n’as aucun revenu et tu as dû mettre tes employés au chômage. Je t’imagine vivant une angoisse inhumaine. Comment vais-je payer ma fin de mois ? La banque sera-t-elle raisonnable ? Mon propriétaire sera-t-il accommodant ? Pendant combien de mois, d’années devrai-je rembourser mes pertes ? Quand cette crise va-t-elle finir ? Serai-je capable de redémarrer mon commerce ? Les employés que j’ai formés reviendront-ils ?

Je m’inquiète de toi non seulement parce que tu mérites le meilleur après avoir pris tous ces risques et fais tous ces efforts, mais aussi parce que tu tiens à bout de bras une grande partie de la beauté, de la vie sociale et de tout ce qui fait que vivre en ville est agréable.

Au début des années 90, en tant que journaliste, j’étais en URSS, alors dirigée par Gorbatchev, pour un stage de deux semaines. Au retour, nous avions fait escale à Reykjavik, je crois, où nous avions eu quelques heures pour visiter la ville.

J’avais eu un choc : pendant deux semaines j’avais été privé de vitrines, d’enseignes, de néons criards même, et là, je retrouvais tout ça avec un immense bonheur. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de ton importance et du bien-être que tu nous apportes par ta seule présence.

Il y a quelques mois, je marchais rue Beaubien. Dans un commerce pas encore ouvert, deux jeunes femmes s’affairaient à installer des sacs à main sur les présentoirs. Le soin qu’elles apportaient à la beauté des lieux m’a touché au point que je suis entré pour leur dire merci. Merci de rendre ma ville plus belle, plus agréable et plus intéressante. 

Quelques semaines plus tard, je me trouvais rue Saint-Denis. J’étais atterré de compter autant de magasins fermés.

Combien d’heures par semaine as-tu passées à te casser le dos et la joie de vivre pour faire fonctionner ton commerce ? Combien de fois t’es-tu arraché les cheveux parce que tu manquais d’employés ?

Mon fils étant chef, je pense ici particulièrement aux restaurateurs. Je sais que tu t’arraches en ce moment la vie et l’espoir parce que, comme nous tous, tu es dans le noir. Alors, je veux juste te dire que je pense à toi, que je m’inquiète de toi et que je m’ennuie de toi.

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