La crise causée par la COVID-19 doit nous pousser à revoir la façon dont les entreprises sont gérées. À repenser la gouvernance des entreprises. Déjà amorcés, les changements requis doivent être poursuivis, même accélérés.

Depuis quelques années, des organisations influentes du monde des affaires se sont prononcées pour un changement de paradigme pour mettre fin à la satisfaction des attentes des actionnaires de façon prioritaire. Un mouvement est en marche pour que les entreprises transforment leur gouvernance afin d’être responsables des effets qu’elles engendrent sur la société.

Le Forum économique mondial de Davos, le Business Roundtable, groupe des 200 plus grandes entreprises américaines, ou encore les plus grands gestionnaires de fonds du monde appellent depuis plusieurs mois les entreprises à une plus grande responsabilité sociale. Il s’agit de les inscrire dans un objectif de développement durable, c’est-à-dire dans une perspective long terme, avec une bonne gouvernance et dans le respect de l’environnement et de la société.

Dans cette optique, les décisions des entreprises ne sont plus axées uniquement sur le retour aux actionnaires. Elles s’inscrivent dans une réflexion plus large sur l’impact des décisions d’une entreprise sur ses parties prenantes – ses employés, ses clients, ses fournisseurs, la collectivité, les investisseurs, etc. Il est de plus en plus attendu que la direction des entreprises et le conseil d’administration les prennent en compte dans leur processus décisionnel.

La crise que nous traversons met en lumière à quel point nous dépendons de ces parties prenantes, en fait, à quel point nous dépendons les uns des autres.

C’est notre regard sur l’importance de chacune des parties prenantes qui aura changé après cette crise : les gens les plus importants ne sont pas toujours en haut de la pyramide. Une des parties prenantes les plus importantes de l’entreprise sont ses employés. Dans le domaine alimentaire, notre survie dépend des caissiers, des livreurs, des camionneurs. Dans le domaine médical, elle dépend, certes, du corps médical et infirmier, mais également de tout le personnel chargé de la désinfection des hôpitaux et des préposés aux bénéficiaires, pour ne nommer que ceux-là. De travailleurs invisibles, ces employés apparaissent à la lumière de cette crise comme des rouages essentiels.

Le banquier américain J.P. Pierpont Morgan, de la banque homonyme, pourtant un des titans de l’âge d’or, considérait que les présidents des grandes sociétés ne devaient pas gagner plus de 20 fois la moyenne de ce que gagnent leurs employés. Or, en 2018, le salaire des 100 chefs d’entreprise les mieux payés au Canada a franchi le cap d’une rémunération 200 fois plus importante que le salaire moyen des employés de leur entreprise.

Pourtant, la crise actuelle semble nous faire faire quelques progrès.

Durant la crise financière de 2008-2009, l’État américain avait sauvé des entreprises indispensables (too big to fail) avec des fonds publics, celles-là mêmes qui avaient causé la crise. Pourtant, les conseils d’administration de certaines de ces entreprises, une fois sauvées, ont accordé des rémunérations et des bonis scandaleux à leurs dirigeants. Par exemple, un haut dirigeant de AIG, après avoir émis pour des milliards de dollars d’instruments financiers non adossés à des actifs et participé à l’effondrement du marché, a reçu une rémunération de départ de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Maintenant, l’approche semble différente. Tous les jours, des PDG renoncent à une partie de leur rémunération.

Une bonne occasion

Verrons-nous au sortir de cette crise une ambition à ne pas faire comme hier, mais de créer demain le monde qui est réclamé de façon de plus en plus criante ? Décarbonisation, respect des écosystèmes, droits de l’homme, égalité des sexes : l’expérience de cette crise nous montre de façon non équivoque que nous pouvons nous mobiliser et faire les actions requises. Pour les conseils d’administration et les directions d’entreprise, cela sera d’identifier leurs parties prenantes et de considérer l’impact de leurs décisions sur celles-ci. De prendre des décisions à long terme. Et d’être courageux dans ce changement de paradigme.

Ainsi s’exprime René Villemure, éthicien, sur la question du courage : « Dans une société qui change rapidement, on a plus besoin de modèles et de héros que de mercenaires à la fidélité douteuse. C’est pourquoi, dans la conduite des affaires, il convient de réhabiliter le courage, de comprendre sa distinction d’avec la témérité et d’agir de manière juste. Avec courage. Avec cœur. Si le courage mène à l’héroïsme, le manque de courage mène au cynisme. »

Pour les gouvernements qui injectent des sommes importantes pour sauver les entreprises, il s’agit sûrement d’une occasion d’apprendre du sauvetage fait par le président Obama il a une décennie. Il s’est mordu les doigts de ne pas avoir prévu une limitation à la rémunération des dirigeants. Et si le gouvernement fédéral, dès maintenant, jumelait ses apports de fonds à des conditions pour assurer la transition sociale et écologique des entreprises ? Il ne faut pas faire de cette crise un rendez-vous manqué.

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