C’est en pleine crise de santé publique et économique que Sophie Brochu, ex-PDG d’Énergir, est nommée à la tête d’Hydro-Québec, première femme donc à occuper cette redoutable fonction depuis la création de l’entreprise en 1944 (en excluant un court intérim de Lise Croteau, en 2015).

Sophie Brochu commence son mandat dans des conditions difficiles, mais avec de forts atouts. Elle connaît bien le secteur de l’énergie et les marchés limitrophes, où Hydro vend beaucoup d’électricité, et où elle vise à en vendre encore bien davantage.

À son premier jour en fonction, lundi prochain, 6 avril, elle trouvera une entreprise en bonne santé financière (près de 3 milliards de profits nets en 2019), avec une culture bien ancrée d’amélioration continue, un groupe loyal de 20 000 employés, fiers de leur expertise et de leur contribution au Québec, partout sur notre vaste territoire.

Comme pour toutes les entreprises, la crise de la COVID-19 fait peser de grosses incertitudes sur Hydro-Québec. Même si les gens sont à la maison et consomment plus d’électricité, Hydro-Québec fait son pain et son beurre avec les ventes aux commerces et aux entreprises, et à l’exportation.

Avec l’économie en pause forcée, ici comme aux États-Unis, ce sont des millions en revenus qui n’entrent pas dans les coffres de la société d’État, dont la moitié des profits va à son actionnaire, le gouvernement du Québec, sous forme de dividendes.

Quelle stratégie sera déployée pour combler cette perte de revenus, dans un marché québécois qui devrait être en récession prolongée durant toute l’année 2020 ?

Côté exportations, quels seront les effets à court et à moyen terme de cette crise dans les marchés voisins, où les ventes contribuent au tiers des profits d’Hydro ? Quelle sera la suite dans ces marchés en ce qui concerne les efforts en efficacité énergétique, les engagements en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la transition vers les énergies renouvelables, bref en ce qui concerne la demande en électricité ?

Du côté de l’industrie du gaz de schiste, principal compétiteur d’Hydro, l’actuelle chute historique du prix des combustibles fait très mal. Il y a plus d’une décennie, l’émergence de ce secteur a entraîné une baisse spectaculaire des prix de l’électricité dans le nord-est des États-Unis, minant en partie la compétitivité de celui offert par Hydro à ses clients hors Québec.

Le sentiment de repli national, un danger 

Mais l’effondrement potentiel de ce secteur pourrait aussi susciter un repli national aux États-Unis, dorénavant désireux de recouvrer leur indépendance énergétique.

On a vu combien l’absence d’autonomie en matière d’équipements médicaux a joué de mauvais tours au Québec, aux États-Unis et ailleurs. 

Or, l’énergie est un secteur où les décideurs ont toujours été très jaloux de conserver une grande sécurité d’approvisionnement.

Dans ce nouveau contexte, comment seront perçus chez nos voisins des liens potentiellement accrus avec Hydro-Québec, même si ceux-ci sont avantageux pour tous sur les plans économique et environnemental, étant donné le prix compétitif de notre hydroélectricité et son caractère renouvelable ?

La crise de la COVID-19 fournit potentiellement aux opposants américains du contrat d’Hydro au Massachusetts (obtenu en 2018, 9,45 térawattheures sur 20 ans) un argument supplémentaire pour le bloquer. Et ce, dans un marché déjà difficile, où construire une ligne de transport pour acheminer cette électricité et naviguer à travers les enjeux réglementaires pour la faire approuver constituaient déjà, avant la crise, un parcours du combattant.

Hydro-Québec devra donc poursuivre, mais avec encore plus d’acharnement, son travail actuel de lobbying, pour marteler l’importance, plus que jamais, d’affronter l’enjeu des changements climatiques avec une perspective d’ensemble.

Un message qui rappelle que son produit a tous les atouts pour accélérer cette obligatoire transition vers une économie décarbonée : une énergie propre qui peut être stockée en raison de ses vastes réservoirs ; et disposant de la capacité de suppléer à la variabilité, au caractère intermittent des centrales éoliennes et solaires installées chez nos voisins limitrophes.

Ce rôle de « grande batterie du nord-est », de police d’assurance en quelque sorte, est un atout majeur pour faciliter une progression encore plus rapide des énergies renouvelables. Mme Brochu en est bien consciente.

C’est un message approprié pour l’urgence climatique, mais qui ne sera pas nécessairement si facile à vendre dans le nouveau contexte actuel.

Tout le talent de Mme Brochu et de sa future équipe sera nécessaire pour faire avancer la position d’Hydro-Québec dans ce marché névralgique. Il en va de sa rentabilité et, en partie, de la santé des finances publiques du Québec qui, on le sait, sont soumises présentement à de très fortes turbulences.

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