C’était un après-midi d’hiver et je ne savais plus quoi faire de cette tristesse-là. Encore un jour à ne plus savoir comment regarder mes trois enfants, à ne plus savoir où puiser la lumière, ou trouver les réponses qui leur donnent envie de demain.

Ce poids-là dans tout mon cœur : celui de l’impuissance. Celui qui fait que j’avance en ayant l’impression de leur mentir.

C’est rare que je suis triste. La joie me porte habituellement. Mais ce jour-là, rien de ce que j’avais appris ne me semblait avoir de sens. Ni les mots ni les images ne pouvaient grand-chose sur le sens du monde. Sur sa démolition.

J’ai trois enfants qui sont ma plus grande fierté et j’avais honte de les regarder. Parce que je ne faisais rien de suffisant pour assurer leur santé, leur sécurité, leur bonheur… leur vie future.

Et puis, tout en me sentant profondément petite, je me suis dit que la force qui me restait, celle qui pulvérisait tout, c’était justement celle portée par cet amour-là.

Cet amour-là : indestructible, incomparable, foudroyant, que j’ai pour mes enfants.

J’ai appelé Laure Waridel, d’instinct, et j’ai trimballé ma tristesse jusqu’à elle.

Ça faisait une minute qu’on était assises l’une en face de l’autre… les yeux pleins d’eau, elle me dit, blaguant à demi : est-ce qu’il va falloir qu’on s’immole pour qu’on nous entende ?

Nos désespoirs se touchaient. On aimait de la même façon : totalement.

Je n’étais plus seule. On a rit un peu.

Puis on a imaginé la suite. On a imaginé ce qu’on pouvait faire avec cette force-là. La force de celles qui ont mis au monde. Celle des louves et des lionnes. Celles qui seraient prêtes à mourir pour leurs petits.

Une semaine plus tard, dans le salon de Laure, nous étions 40. Des mères et des grand-mères de tous horizons confondus. Des mères et des grand-mères, toutes très occupées, qui avaient envie de se battre pour défendre leurs enfants. Une à une, nous avons raconté pourquoi nous avions créé une brèche à notre horaire pour être présentes ce soir-là. Il y avait de la colère, il y a eu des larmes. Du désespoir, de la fatigue, des appels à l’aide, aussi. Et beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour. Ce soir-là, nous avons compris que nous étions nombreuses. Que ça nous rendait fortes. Et que c’était le début des « Mères au front ».

Nous sommes aujourd’hui des centaines partout au pays. Nous débordons des frontières. Nous sommes des mères, des grand-mères, nous sommes aussi tous ceux et celles qui veulent se battre pour l’avenir de nos enfants.

Notre premier rassemblement aura lieu le 10 mai devant le parlement. Fuck les fleurs, fuck le chocolat : pour la fête des Mères, nous exigeons du courage politique.

Nous sommes amoureusement en tabarnak, nous sommes ensemble, et nous sommes puissantes.

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