Il est devenu coutumier dans les dîners entre amis de qualifier d’irrecevable toute discussion autour du président Trump et des perspectives de sa réélection. 

La résignation face aux résultats attendus en novembre prochain ou une lassitude généralisée du sujet provoque cette forme de censure. Je constate à regret que le même phénomène se produit maintenant face à Bombardier.

Certaines chapelles du Canada anglais n’ont jamais accepté la vente de Canadair à Bombardier en 1986 par le gouvernement fédéral. Les réactions allergiques des marchés financiers canadiens au moindre sursaut chez Bombardier n’ont pas toujours été rationnelles.

Si on n’accusait pas l’entreprise de vivre aux crochets de l’État, on mettait plutôt en lumière sa gouvernance permettant à la famille Beaudoin de détenir des actions à votes multiples. Hélas, cette grogne a aussi gagné le Québec. Heureusement, elle épargne Laurent Beaudoin, le guide spirituel d’une génération d’entrepreneurs québécois.

D’autres pourront juger si cette lente descente aux enfers de Bombardier des dernières années aurait pu être évitée. Il se trouve parmi les milliers de nouveaux experts en aéronautique dans l’espace public québécois plusieurs qui revendiquent la fin des programmes d’aide gouvernementaux pour les grandes entreprises. Ils joignent leurs voix à celles entendues très souvent ailleurs au Canada – et comme il s’agit de Bombardier, elles sonnent plutôt comme une chorale.

Alors que je siégeais au Conseil des ministres à Ottawa, je me suis impliqué dans le versement par le gouvernement fédéral de deux chèques significatifs pour la région de Montréal et son industrie aérospatiale. Le premier (350 millions) allait permettre à United Technologies (Pratt & Whitney à Longueuil) de développer une nouvelle génération de moteurs plus légers et moins énergivores. Ces moteurs se retrouvent aujourd’hui sous les ailes de l’A220 (C Series). À l’époque, il s’agissait du versement gouvernemental le plus important jamais accordé par Ottawa à ce secteur.

Quelques années plus tard, à l’été 2008, après de longues négociations, nous avons convenu d’accorder à Bombardier une aide identique de 350 millions pour le développement de la C Series. Il s’agissait donc de plus de 700 millions consentis par Ottawa (sans compter Québec) pour contribuer au succès de l’industrie en l’espace de 24 mois.

L’impopularité de Bombardier jumelée à la taille des sommes en jeu a donné lieu à des conversations musclées avec certains collègues. Contrairement à nos discussions cordiales et constructives avec United Technologies, celles avec Bombardier s’étaient déroulées dans un climat de méfiance. L’entreprise avait ouvertement évoqué l’idée d’installer les activités de la C Series aux États-Unis si le gouvernement ne se pliait pas à ses demandes. J’avais un patron qui tolérait mal le chantage, et certains lui soufflaient à l’oreille que l’occasion était belle pour laisser filer Bombardier vers d’autres cieux.

Mais, heureusement, le premier ministre a choisi la voie de la raison nonobstant un climat malsain nourri par ces menaces répétitives. 

Grâce à cette aide – et aux nombreux autres versements depuis par d’autres gouvernements –, le savoir-faire du Québec a donné naissance à une nouvelle génération de moteurs et à un nouvel avion commercial.

J’ai assisté avec peine comme tous les autres Québécois au démantèlement lent et pénible de Bombardier. Il existe de ces actifs au Québec que nous jugeons faire partie du patrimoine collectif. La déception ou la colère que nous ressentons face à leurs échecs ou l’incurie de leurs dirigeants s’explique par cette fierté sans bornes que nous réservons pour les succès d’ici.

Je n’ai jamais été aussi convaincu de l’importance pour nos gouvernements de mettre sur pied des mécanismes pour venir en aide à nos entreprises. Que ce soit au moyen d’un investissement pour développer de nouvelles technologies ou d’un autre qui procurera un capital temporaire nécessaire, ce rôle de l’État est aussi précieux à mes yeux que tous les autres qu’il joue. Particulièrement au Canada, où l’émergence du capital de risque est un phénomène assez récent.

Si nous n’outillons pas l’État pour intervenir de façon ponctuelle, d’autres le feront à sa place. Le Canada redeviendra ce qu’il était naguère – une économie de succursale contrôlée par des intérêts étrangers.

Une nation d’entrepreneurs et d’exportateurs comme la nôtre se doit de contrôler son économie. J’invite ceux qui regrettent l’appui des gouvernements à percer le voile de la haute direction. Songez aux dizaines de milliers d’emplois directs et indirects que soutient l’industrie de l’aérospatiale, notamment ces jeunes ingénieurs et designers qu’elle fait rêver. Ce qu’ils ont accompli à Longueuil et à Mirabel depuis 10 ans est exceptionnel. Et sans l’aide de l’État, ils n’y seraient pas arrivés.

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