C’est au cours d’une soirée passée dans mon ex-belle-famille Désy qu’en 1976, je crois, j’ai fait la connaissance de Louis-Edmond Hamelin. 

Enjoué, celui-ci faisait le tour des gens présents en s’amusant de tout. En entendant mon ex-belle-sœur Hélène parler d’une « gougoune », il l’avait interpellée gentiment pour savoir ce qu’était cette chose-là. Hélène avait alors entrepris laborieusement de définir l’entité en question, pendant que Louis-Edmond, attentif, sortait un calepin noir de sa poche ainsi qu’un bout de crayon de plomb pour noter, sourire en coin, le résultat de ses efforts.

Plus tard, il m’avait demandé ce que je faisais dans la vie, et je lui avais répondu qu’il me restait un an de cours à terminer au baccalauréat en économique, discipline qui ne m’intéressait pas beaucoup. « Mais quel hasard, s’était-il exclamé. Justement, moi aussi j’ai étudié en économique avant d’aller en géographie ! » Hamelin savait comment s’approcher des gens en vue de se les attacher.

Fondamentalement, il était un grand maître, comme on en rencontre dans divers domaines, toujours en quête d’une relève à laquelle transmettre sa force peu commune, sa capacité de changer le monde pour le mieux. Mais ne pouvait en être qui voulait, seulement qui pouvait. Et le test à passer était impitoyable.

Par exemple, une fois mon diplôme d’économiste en poche, avant d’aller à la maîtrise en géographie, je devais suivre un an de cours au baccalauréat en géographie. Hamelin m’avait demandé de m’inscrire à son cours de baccalauréat sur le Grand Nord, un cours qui compterait, dans mon cas, comme cours de cycle supérieur. Jusque-là, pas de problème. Je n’aurais pas à faire les mêmes travaux que les autres, mais en fin de trimestre, je devrais subir un examen oral. Il me faudrait lire Nordicité canadienne, ouvrage pour lequel on venait de lui décerner le Prix du Gouverneur général du Canada. Et il me questionnerait sur ce que j’en aurais retenu. O.K.

Toutefois, étant donné la grande complexité de l’ouvrage, il ne pouvait s’agir que d’un jeu de massacre. Et ce fut une catastrophe innommable, mais prévisible. Une fois la cendre retombée, je me suis entendu lui dire : « Est-ce que je pourrais recommencer ? » Et, semble-t-il, c’était ce qu’il attendait d’un « bon » candidat venant de subir un échec cuisant. Il avait tout de suite sorti son agenda et m’avait donné un autre rendez-vous, deux ou trois mois plus tard. Mais là, je savais comment affronter l’homme.

À ses yeux, l’étudiant, c’était un traîneau à chiens avec son attelage, m’avait-il dit. « Et moi, je marche en avant dans la neige en tirant le chien de tête par son collier. C’est à l’étudiant de ne pas chavirer dans la neige. Je le traînerai ainsi à vive allure tant qu’il sera capable de s’accrocher. »

Et quand on avait passé le test, alors il ouvrait pour nous toutes les portes qu’il pouvait. Mais c’était toujours à nos risques et périls.

Ainsi, quand j’ai été convoqué à une entrevue par l’ancien ministre de la Défense du Canada, Gilles Lamontage, c’était après que le Bureau du ministre eut reçu une lettre de recommandation de sa part. Et, cette fois-là, je m’étais cassé la figure. Heureusement pour moi !

Quand j’ai voulu faire un doctorat à l’Université McGill et qu’il me fallait produire des lettres de recommandation, Hamelin m’avait demandé de passer le voir avec la liste des professeurs de géographie de McGill. Après l’avoir consultée, Hamelin, alors recteur de l’UQTR, m’avait dit : « J’en connais un sur deux. Je peux te faire une lettre. »

Avec la lettre de quatre lignes seulement qu’il avait envoyée à McGill, et que plus tard il m’avait transmise, une fois rendu à McGill, je vous jure qu’avec cette lettre-là, même saint Pierre m’aurait accepté au paradis sans confession.

Et Hamelin savait aussi comment conférer du coffre à quelqu’un quand il devait négocier avec bien plus grand que lui.

Un jour de 2012, presque paniqué, je lui avais écrit pour lui dire que, par un concours de circonstances inimaginable, moi, qui n’étais rien dans le milieu universitaire québécois, je devais faire une présentation à l’Université de Cologne aux côtés de Jean-Robert Pitte, président sortant de la Sorbonne. Pourquoi pas ! 

Hamelin, devinant l’ampleur de mon malaise, m’avait simplement écrit : « Tu salueras pour moi l’académicien Jean-Robert Pitte. » Et une fois sur la scène d’un immense amphithéâtre avec Jean-Robert Pitte, c’est celui-ci qui s’était penché vers moi pour me demander : « Jules, connaissez-vous Louis-Edmond Hamelin ? » « Oui, monsieur. Et M. Hamelin m’a justement demandé de vous saluer en son nom lorsque je vous rencontrerais. » Je pourrais alors donner ma conférence devant des dizaines de célébrités de la géographie mondiale sans même me mettre à bafouiller.

Parlant d’Hamelin, un jour, Fernand Dumont a confié à mon frère Jean, alors son étudiant, que si tous les professeurs de l’Université Laval étaient aussi vaillants que Louis-Edmond Hamelin, alors l’Université Laval serait connue mondialement. Ça, j’ai pu le répéter à Louis-Edmond Hamelin de son vivant.

Merci pour tout, Monsieur Hamelin.

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