Un groupe de défenseurs des droits des animaux a récemment fait la manchette en manifestant dans des établissements comme Joe Beef, Au pied de cochon et, plus récemment, Rachelle-Béry. Étant donné que ces commerces ont tendance à faire affaire avec des petites fermes où les animaux ont une qualité de vie bien supérieure à celle des animaux élevés dans des fermes industrielles, plusieurs d’entre nous ont été surpris par ce choix de cibles.

L’implication contre-intuitive de ces actions semble être que si une personne décide de diminuer la souffrance animale en vendant ou consommant de la viande biologique, elle mérite davantage d’être la cible de manifestations que des chaînes de restauration qui ne font aucun effort pour diminuer la souffrance animale. Or, si l’objectif est de défendre les droits des animaux, pourquoi ne pas manifester devant des commerces dont les pratiques causent nettement plus de souffrance et de mort animale ?

En réponse à cette question, le choix des manifestants a été défendu dans les pages de quotidiens comme La Presse et Urbania – à ma grande surprise. Par exemple, Judith Lussier écrit que cette réaction aux actions des militants « en dit plus sur notre incompréhension de leur message – ou sur notre propre inconfort face à ce dernier – que les militants », puisque ces commerces soutiennent tout de même l’action de tuer un animal pour le consommer.

De son côté, dans son texte paru dans Urbania, Joannie Tremblay prétend que ces commerces « contribuent largement au blanchissage de la conscience omnivore bourgeoise ».

On blâme ces commerces, en gros, parce qu’ils permettraient aux omnivores consciencieux et locavores de ce monde de « se draper de vertu » quand leur comportement est censé être tout aussi ignoble que celui d’une personne qui ne mangerait que de la viande d’élevage industriel. Parce que tuer un animal, même s’il souffre moins avant de mourir, c’est quand même tuer un animal.

L’argument semble être que si une personne essaie d’améliorer l’impact de sa consommation, sans toutefois l’éliminer, elle mérite davantage d’être punie que ceux et celles qui ne font rien. Il n’y aurait donc pas de demi-mesure à être woke. On l’est, à 100 %, ou on ne l’est pas. Mais de grâce, ne soyons pas pris au milieu.

Passons ici par-dessus la question fort complexe de s’il est nécessairement mauvais de tuer un animal, peu importe dans quel contexte. Passons aussi par-dessus le fait qu’il est loin d’être évident que ces commerces et ceux qui les fréquentent prétendent réellement être des modèles à suivre. Parlons plutôt d’efficacité : si notre objectif est de réduire la souffrance animale, est-il efficace de punir ce genre de commerce, pour ce genre de raison ?

Pousser la logique plus loin

La ligne directrice ici nous dirait que si on essaie de s’améliorer, mais qu’on ne va pas jusqu’au bout de nos capacités, on mérite davantage d’être puni qu’une personne qui ne fait rien, parce que notre comportement demeure répréhensible et en plus, on fait en semblant qu’il l’est moins. 

Or, si on suit ce raisonnement, avant de protester contre l’achat de véhicules énergivores comme des pick-up ou des VUS, on devrait manifester contre les gens qui achètent des véhicules hybrides – ou même, des électriques – puisqu’ils n’ont pas abandonné l’usage de leur auto. Tant qu’à y être, pourquoi ne pas punir les élèves qui essaient de s’améliorer, mais n’ont pas une moyenne de 100 %, tout en laissant tranquilles ceux qui ne prennent pas la peine d’ouvrir leurs livres ? Une personne essaie de diminuer de moitié sa consommation de drogue, de cigarettes ou d’alcool, sans pour autant arrêter de consommer ? Quelle contradiction ! Sortons les casseroles !

Bref, en matière d’efficacité, ce genre de cible va à l’encontre des effets escomptés : si une personne tente de diminuer la souffrance animale qu’elle cause, peut-on s’attendre à ce qu’elle continue ses efforts si elle sait qu’elle sera punie ? Peut-on s’attendre à ce que d’autres aient envie d’améliorer leur comportement, voyant la réaction que ces efforts suscitent chez ces militants ?

Et que dire de ces fermiers qui choisissent de modifier leurs pratiques pour mieux traiter leurs animaux : sont-ils censés être encouragés par ce genre de critique ? Certainement pas.

Parfois, les militants choisissent mal leurs cibles. Nous l’avons vu dans les actes maladroits posés dans le métro de Londres par Extinction Rebellion, qui fait normalement des actions bien organisées et justifiées. Loin de moi ici l’idée d’imposer à ces militants une forme de greenshaming : la nature de leur action est fort louable. On doit saluer ceux qui vont dans la rue pour leurs convictions – surtout de nos jours, quand on considère la magistrale incompétence de nos gouvernements à prendre au sérieux la menace des changements climatiques. Mais on doit aussi savoir admettre ses torts, pour le bien du mouvement. 

Après tout, contrairement à ce que semble impliquer le choix de cible de ces manifestants, personne n’est parfait – manifestants comme commerçants. Devrait-on vraiment punir ceux qui essaient de diminuer la souffrance causée par leurs actions, sans toutefois toujours réussir ?

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