« Ils s’en prennent à la mauvaise cible », dit-on, en constatant qu’un groupe de militants végétaliens s’en est pris au symbole suprême de l’alimentation bio qu’est Rachelle-Béry.

La même ritournelle refait surface à chaque coup d’éclat. Comme si nous savions mieux que les militants ce à quoi ces derniers souhaitent nous sensibiliser. Pourquoi ne s’en prennent-ils pas aux « vrais coupables », aux chaînes d’alimentation, aux abattoirs industriels, pense-t-on ? Ce réflexe en dit plus sur notre incompréhension de leur message — ou sur notre propre inconfort face à ce dernier — que les militants.

Ça arrive régulièrement. Rappelez-vous quand un groupe anti-embourgeoisement avait vandalisé et pillé une petite épicerie indépendante du quartier Saint-Henri. Dans nos esprits de bourgeois bien pensants, cette action violente n’avait aucun sens. Pourquoi s’attaquer à un commerce local plutôt que de s’en prendre à une chaîne comme McDo ou Starbucks, comme de bons militants anticapitalistes ? Sans cautionner le geste, un intervenant du quartier avait alors expliqué que pour les natifs de Saint-Henri qui subissent l’embourgeoisement, les Tim Hortons et autres chaînes sont les endroits où ils peuvent encore trouver un café à moins de deux dollars. 

Et bien que le grand capitalisme éhonté soit certainement à l’origine de leurs misères, quotidiennement, c’est l’apparition de petits commerces destinés aux riches qui leur rappelle leur souffrance.

D’un point de vue pratique, ces cibles sont aussi celles qui sont accessibles aux militants, celles sur lesquelles ils estiment avoir une emprise.

Un exemple personnel

Je me suis moi-même considérée comme une « mauvaise cible » lorsque des militants pour l’accessibilité m’ont reproché de tenir un spectacle dans une salle située au deuxième étage d’un immeuble sans ascenseur. Franchement ! Étaient-ils aussi sévères à l’endroit de Peter MacLeod, par exemple, qu’envers moi, qui me considère pourtant sensible à leur cause ? L’un d’eux m’a alors fait remarquer que c’était d’autant plus regrettable que mon spectacle ne soit pas accessible précisément parce que je me considérais comme une militante pour la justice sociale.

« Comment peux-tu prétendre lutter contre les inégalités si tu laisses en plan toute une partie de la population ? », m’expliquait-il en substance. Je pouvais facilement faire le parallèle avec la frustration que je ressens quand des personnes qui se disent progressistes jugent que les combats féministes sont derrière nous !

Quand on estime que les militants véganes s’en prennent à la mauvaise cible en s’attaquant à Rachelle-Béry, c’est qu’on n’écoute pas leur message.

Ce qu’ils nous disent, c’est justement que peu importe la gentillesse avec laquelle on s’imagine tuer un bébé mouton sous prétexte qu’on lui a offert une qualité de vie acceptable avant de le manger, on le tue pareil pour notre plaisir. 

« Local ! Bio ! C’est le même couteau », ou « Tuer local et bio, c’est tuer quand même » : il semble assez évident, à la lecture de ces slogans, que Rachelle-Béry était l’endroit tout indiqué pour mener cette action.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Une vingtaine de militants antispécistes ont manifesté devant un étalage de viande à l’épicerie Rachelle-Béry, au coin des rues Saint-Denis et Rachel, à Montréal, dimanche après-midi.

Éthique animale

On peut être d’accord ou non avec le message, mais prétendre que ces militants se trompent de cible démontre surtout qu’on n’entend pas le bon message. Probablement parce qu’il nous déplaît. Nous sommes plusieurs à convenir de l’importance de réduire notre consommation de viande pour des raisons environnementales, mais on peine encore à intégrer le raisonnement quant à l’éthique animale, qui semble être au cœur des considérations de ceux qui ont mené une action directe au Rachelle-Béry.

Pour ces militants antispécistes, une vie animale a la même valeur qu’une vie humaine et à ce compte-là, un magret de canard bio équitable est pour eux l’équivalent d’une main d’enfant tranchée avec compassion.

« Ils nuisent à leur cause », dit-on aussi régulièrement de ceux qui souhaitent ainsi pousser la réflexion un peu trop loin au goût de la majorité. Ça en dit également davantage sur notre rapport à la cause que sur la maladresse occasionnelle des militants. Certains sont prêts à « débarquer » du féminisme pour aussi peu qu’un tweet déplacé, incapable d’adhérer à ce qui leur convient dans le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes sans que tout ne s’effondre à la minute où un inconfort se fait sentir. Comme s’il fallait toujours embrasser l’ensemble de l’œuvre. Comme si les militants eux-mêmes étaient ce bloc monolithique toujours campé à la même enseigne.

Faisons preuve d’honnêteté : les militants nous gossent parce qu’ils nous placent face à nos contradictions et à nos inconforts. Et c’est beaucoup plus facile de leur reprocher de se tromper de cible que d’envisager qu’on puisse faire exactement partie de la cible visée.

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