Justin Trudeau est au Sénégal et en Éthiopie pour quelques jours afin de promouvoir le commerce, le développement économique, la lutte contre les changements climatiques et l’égalité des sexes. Il sera aussi et surtout question de la campagne du Canada pour l’obtention d’un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est uniquement dans cette optique que la visite en Éthiopie, en particulier, s’explique.

Addis-Abeba est la capitale de ce pays, mais aussi le siège de l’Union africaine (UA), et il se trouve que cette semaine, l’UA tient son sommet annuel réunissant les chefs d’État et de gouvernement de ses 54 membres. Une bonne occasion pour le premier ministre de rencontrer un maximum de leaders afin de leur vanter les mérites du Canada à siéger au Conseil et d’attirer leur vote.

Et les votes africains pèsent lourd dans la balance. Ils représentent le plus grand bloc politique à l’Assemblée générale de l’ONU. L’Afrique est donc courtisée par tous les pays qui désirent se faire élire au Conseil. Ainsi, pendant l’année qui a précédé l’élection de l’Allemagne au Conseil en 2018, la chancelière Angela Merkel a organisé à Berlin un sommet avec des leaders africains, visité 10 pays du continent et renforcé de plusieurs centaines de Casques bleus le contingent allemand au Mali, en plus d’annoncer de nombreux et généreux projets d’investissements et de développement.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau s'est envolé vers Addis-Abeba, en Éthiopie, jeudi.

Le Canada, lui, se montre très discret, trop discret même, et cela pourrait lui coûter cher. Depuis une quinzaine d’années, l’empreinte diplomatique, économique et militaire canadienne sur le continent s’efface lentement.

Le gouvernement conservateur de Stephen Harper (2006-2015) a réorienté les priorités vers l’Amérique latine et la Chine. Des ambassades ont été fermées, l’aide au développement a stagné, les préoccupations sécuritaires des Africains ont été ignorées. Une des conséquences les plus spectaculaires de cette négligence envers le continent a été l’échec du Canada à se faire élire en 2010 en tant que membre non permanent du Conseil. La majorité des votes africains a manqué à l’appel.

Pour sa part, Trudeau s'est rendu dans quatre pays depuis son élection en octobre 2015, a décliné une invitation à s’exprimer à la tribune de l’Union africaine et, l’an dernier, a retiré le petit contingent de Casques bleus déployé au Mali malgré les demandes répétées de l’ONU et de nos alliés français, allemands et néerlandais de rester afin de stabiliser ce pays d’Afrique de l’Ouest. Le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a bien fait un saut au Mali il y a 10 jours afin d’écouter pour la énième fois les demandes de l’ONU, mais il a quitté les lieux sans rien promettre.

Une image abîmée

Loin des yeux, loin du cœur, dit l’adage. Puisque le Canada s’intéresse moins à l’Afrique, il semble que les Africains lui rendent la pareille. Au début de 2019, le Conseil français des investisseurs en Afrique a publié une étude de l’Institut Immar sur la perception qu’ont les leaders d’opinion africains de certaines thématiques liées à leur continent.

Entre autres, Immar a mesuré l’image des partenaires étrangers qui coopèrent ou commercent avec le continent. L’Institut a sondé des leaders d’opinion – chefs d’entreprise, décideurs politiques, leaders associatifs, chefs religieux, blogueurs, artistes – dans huit pays francophones qui ont tous d’étroites relations avec le Canada.

Les résultats de cette étude sont catastrophiques pour le Canada et illustrent bien le déclin de son influence sur le continent.

Ainsi, à la question de savoir quels sont les pays non africains dont les leaders d’opinion ont la meilleure image, le Canada arrive neuvième sur 10 après… la Russie.

Invités de plus à se prononcer sur l’impact bénéfique des pays étrangers en Afrique, les leaders d’opinion n’ont pas inscrit le Canada sur une liste de 10 pays, malgré sa présence sur le continent depuis plus d’un siècle. De tels scores auraient été impensables il n’y a pas si longtemps.

L’élection au Conseil a lieu le 17 juin. Deux sièges sont à pourvoir pour la période 2021-2022 et deux autres candidats, la Norvège et l’Irlande, sont sur les rangs. Malgré leur petite taille, ces deux pays ont une diplomatie très active et une présence remarquée dans le monde comme sur le continent africain. L’Irlande en particulier ne laisse rien au hasard afin de gagner un siège.

Il y a deux ans, dans le cadre de sa campagne pour le Conseil, Dublin a publié un document de 73 pages, Global Ireland, qui détaille toute la stratégie de politique étrangère et de défense du gouvernement irlandais pour les prochaines années. Chaque continent, presque chaque pays, se voit offrir quelque chose. Après tout, il s’agit d’une campagne électorale, et chaque État candidat doit convaincre les États électeurs avec des arguments concrets. Aucun document de la sorte n’existe pour le Canada.

Le gouvernement Trudeau a lancé sa campagne en mars 2016, mais ce n’est qu’à l’automne dernier que le premier ministre a commencé à réagir sérieusement en nommant in extremis des envoyés spéciaux de la trempe de Jean Charest et de Joe Clark pour qu’ils transmettent des messages à un certain nombre de pays. C’est un geste, comme ce voyage en Éthiopie, qui arrive tardivement, car tous les spécialistes qui ont étudié les campagnes victorieuses de Brian Mulroney pour un siège couvrant la période de 1989-1990 et de Jean Chrétien pour 1999-2000 sont formels : le succès est venu de l’engagement personnel et quotidien du premier ministre du début jusqu’à la toute fin.

* L’auteur publiera dans quelques semaines un livre sur le Conseil de sécurité de l’ONU.

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