Alors que plusieurs Québécois entament le défi 28 jours sans alcool, notamment pour se questionner sur la place de la consommation dans leur vie, il serait temps qu’Éduc’alcool en fasse autant.

Trop souvent, l’organisme banalise des comportements inquiétants, envoyant des messages ambigus, voire contre-productifs à l’égard de sa mission. Cette tendance se vérifie dans sa plus récente campagne.

Dans un ascenseur, deux travailleurs se plaignent des effets de l’alcool sur leur vie, puis décident de remettre ça pour un autre cinq à sept. N’importe quel intervenant en toxicomanie identifierait là les signes précurseurs d’une consommation inquiétante. 

Mais plutôt que de mettre en garde le public quant à ces signaux d’alarme, la publicité suggère l’utilisation d’une application pour surveiller sa consommation d’alcool.

Cet outil est basé sur le fameux calcul d’Éduc’alcool, 2, 3, 4, 0. Or, il y a lieu de remettre en question ce barème, puisqu’il suggère qu’une consommation modérée correspond, si on prend le cas des femmes, à deux verres par jour, avec abstinence d’au moins un jour, pour un maximum de 10 consommations par semaine. 

Faites le calcul : si vous buvez deux verres par jour et que vous vous abstenez un jour, on arrive à 12 consommations. Et peut-on vraiment parler de comportement normal et modéré dans ce cas-là ? La question ne se poserait même pas s’il était question d’une substance moins acceptée socialement comme le cannabis.

Dans un autre message, deux femmes se demandent si elles devraient prendre un autre verre. L’une d’elle affirme qu’elles conduisent toutes les deux. L’autre lui répond qu’elles n’ont pas l’air saoules. Ensemble, elles décident de prendre un autre verre.

Après cette normalisation d’un comportement qu’on cherche à déconstruire depuis des années, Éduc’alcool nous invite à évaluer notre aptitude à conduire en calculant notre taux d’alcoolémie grâce à son « calcoolateur ». Exit cette idée selon laquelle « quand on boit, on ne conduit pas », que proposent divers organismes.

PHOTO TOBY TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

De nombreux Québécois entament le défi 28 jours sans alcool.

Même s’il est techniquement légal de prendre le volant avec un taux d’alcoolémie de 0,08 %, une organisation censée valoriser des comportements responsables ne devrait-elle pas plutôt faire la promotion des chauffeurs désignés ? Évidemment, Éduc’alcool se dédouane de toute responsabilité légale quant à son outil, mais cautionne tout de même une conduite en état d’ébriété en raison de l’autorité morale qu’elle représente.

« Savoir recevoir »

Rien ne trahit davantage le manque de cohérence d’Éduc’alcool que son outil « savoir recevoir », conçu pour vous aider à « évaluer facilement les quantités de boissons alcoolisées et non alcoolisées à prévoir », dans le but de « répondre aux attentes de vos invités ». 

Ainsi, si je reçois trois amies pour le brunch, Éduc’alcool m’incite à avoir à la disposition de mes convives une bouteille de vin, une bouteille de cidre, trois bières, et quatre boissons non alcoolisées, par exemple un café chacune.

Je sais que les mimosas ont la cote, mais est-ce vraiment le mandat d’une organisation vouée à la modération de faire la promotion de la consommation d’alcool au déjeuner ? La modération a bien meilleur goût, et il faudrait vraiment que la matinée dérape pour qu’on boive autant que ce que prescrit Éduc’alcool.

Pour le commun des mortels, Éduc’alcool est cet organisme rabat-joie qui vous renvoie un portrait peu flatteur de votre consommation, parce qu’il vous arrive régulièrement de dépasser les deux ou trois verres recommandés en fonction de votre sexe.

Mais je nous invite collectivement à mettre de côté les affects personnels et à évaluer la probité de l’organisme en regard de la fonction qu’il est censé remplir.

Éduc’alcool est un organisme privé, financé par l’industrie de l’alcool, de manière à ce que cette dernière s’acquitte de ses responsabilités légales, en vertu du Règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques.

Selon ce règlement, les fabricants d’alcool doivent obligatoirement financer ou diffuser des messages « qui informent le consommateur […] sur les avantages d’une consommation responsable ». C’est vraiment le minimum auquel on peut s’attendre comme société.

Le fait que l’industrie de l’alcool soit derrière l’organisme – plusieurs acteurs intéressés ont d’ailleurs siégé à son C.A. – teinte forcément sa mission. Sans remettre en question l’honnêteté des gens qui y travaillent, il y a lieu de se pencher sur les limites que cette structure impose à leur bonne volonté.

La Régie des alcools, qui évalue la conformité du programme Éduc’alcool, ne devrait-elle pas être plus sévère ? Ou mieux, ne devrait-on pas confier l’éducation en matière de consommation d’alcool à un organisme totalement indépendant, à l’abri de tout soupçon de conflit d’intérêts ?

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