De 1884 à 1951, le gouvernement canadien a interdit aux Premières Nations de pratiquer leurs cérémonies traditionnelles et conséquemment, d’utiliser des objets de rituel. Pendant cette période, une énorme quantité d’objets autochtones, du quotidien ou à vocation spirituelle, a été saisie, quand les biens n’ont pas été carrément détruits.

D’autres événements malheureux ont également entraîné la perte du patrimoine national des peuples autochtones. Pensons à la nation haïda notamment qui, lors d’une virulente épidémie de variole dans les années 1860, s’est fait dépouiller de milliers de biens culturels d’importance. Le musée Haida Gwaii, créé en 1976 dans l’unique but de rapatrier ce patrimoine perdu, a pour le compte répertorié plus de 12 000 artefacts haïdas, sans parler des ossements et urnes funéraires de leurs ancêtres, dispersés un peu partout dans le monde.

Cette semaine, j’ai eu la chance de visiter quelques-unes des réserves du Musée canadien de l’histoire, composées en majorité d’artefacts autochtones.

Des dizaines de canots, des kayaks, des masques, des totems, des tableaux du célèbre peintre ojibwe Norval Morrisseau, entre autres, composent l’important lot. J’ai pu faire ce même exercice quelques années plus tôt au musée McCord et au Musée de la civilisation dans des réserves où s’étalent de nombreux objets de la culture matérielle autochtone, racontant l’histoire et le quotidien d’un autre temps ou d’aujourd’hui, à qui sait bien l’entendre.

Chaque fois que cette occasion m’est donnée, en me promenant dans ces allées silencieuses, dans un presque état de recueillement, surélevant un peu la tête pour tenter de connaître la provenance de ce canot ou l’année de fabrication de ce masque, j’éprouve à la fois un sentiment de reconnaissance et de malaise.

Je me demande quels chemins ont empruntés ces milliers d’objets pour arriver là, pourquoi je n’ai jamais vu un tel porte-bébé traditionnel dans ma communauté même s’il est étiqueté « Porte-bébé huron-wendat », d’où vient ce masque cérémoniel mohawk, pourtant sacré, pourquoi l’unique exemplaire d’une tunique innue-naskapi du XIXsiècle, un vrai trésor, se retrouve caché dans une réserve. Les aînés disaient qu’un objet dans un musée est un objet mort, peut-être que j’entends un peu l’écho de leurs voix.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

« Cette semaine, j’ai eu la chance de visiter quelques-unes des réserves du Musée canadien de l’histoire, composées en majorité d’artefacts autochtones », écrit l’auteure.

Il en va de même pour les documents anciens. Il a été porté à mon attention qu’un fonds d’archives important pour la nation huronne-wendat, le fonds Antoine-Bastien, se retrouvait présentement en vente sur eBay pour une somme de 35 000 $. Antoine Bastien, lui-même Huron-Wendat, a été agent des Affaires indiennes à la fin du XIXsiècle et un peu au-delà dans le Village-des-Hurons d’autrefois. Ce fonds, qui comprendrait des centaines de documents racontant l’histoire de la vie quotidienne et politique de la communauté, et ce dès 1888, est donc d’ordre public.

Et pour avoir accès à son propre patrimoine collectif, la nation huronne-wendat devrait aujourd’hui débourser 35 000 $.

Au moment d’écrire ces lignes, toute la lumière n’a pas été faite sur la provenance de ce fonds. Il en va de même pour les milliers d’artefacts autochtones des musées où seuls les objets eux-mêmes pourraient sans doute nous raconter la véritable histoire des mains par lesquelles ils sont passés.

En novembre 2018, un rapport commandé pour le compte de la France a révélé que de 80 à 90 % de la culture matérielle africaine se retrouvait hors des pays d’origine, en Europe notamment. L’annonce que l’ex-métropole coloniale allait entamer un processus de restitution d’œuvres d’art du patrimoine africain a d’ailleurs créé tout un émoi dans le milieu muséal.

À la lumière de ces chiffres, on est en droit de se demander ce qu’il en est pour la culture matérielle autochtone au Canada. Or, selon les spécialistes, nous nagerions sensiblement dans les mêmes eaux.

Comprenez-moi bien, l’objet se veut certes un ambassadeur des cultures dans les musées du monde, mais quand 90 % du patrimoine matériel d’une culture, d’une nation, se retrouve hors de son pays ou de sa communauté d’origine, cela devient totalement injustifiable.

Au Canada, peu de musées disposent de politiques de restitution des objets autochtones. Le musée de Vancouver se veut l’un d’eux, le Musée canadien de l’histoire également, mais pour certains types d’objets seulement.

En 1978, ce musée national a rendu aux peuples d’Albert Bay et de Cape Mudge des objets confisqués dans le cadre d’une cérémonie de potlach. En 1991, il a rendu des wampums à la confédération des Six Nations. Pour le reste et les autres musées, c’est au cas par cas par le biais d’interminables et complexes négociations.

Le projet de loi fédéral C-391, Loi concernant une stratégie nationale de rapatriement de restes humains et de biens culturels autochtones, a été adopté à la Chambre des communes en février 2019. Comme son nom l’indique, ce projet de loi présentement à l’étude au Sénat prévoit l’élaboration d’une stratégie nationale qui, espérons-le, amènera des politiques de restitution des artefacts autochtones plus souples et plus simples. Il faudra inviter au transfert de connaissances professionnelles muséales vers les communautés autochtones et par le fait même, accepter que les communautés qui recevront des biens restitués n’aient pas toutes les infrastructures muséales telles qu’on peut les retrouver dans un musée national. En fait, pourquoi investir dans une réserve muséale si on n’a rien à y mettre ? Tout ici est une question d’œuf et de poule.

Ces témoins des cultures autochtones, de leur histoire, de leur évolution, de leurs valeurs, se veulent des marques identitaires signifiantes pour les nations dont elles proviennent. Ces objets représentent à la fois le passé, le présent et l’avenir puisqu’au-delà de leur rapatriement simple, c’est toute une culture et des centaines d’années de tradition qui seront réintroduites dans la communauté, avec les plus jeunes générations qui réapprendront à les fabriquer, porteuses à leur tour des racines de nos peuples.

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