En réponse au texte de Sylvie Brossard, « C’est vrai, “les fous crient toujours au secours” ! », publié le 16 janvier.

Dans la section Débats du 16 janvier dernier, Sylvie Brossard a dénoncé vigoureusement la situation des personnes atteintes de troubles mentaux au Québec en affirmant : « C’est vrai, “les fous crient toujours au secours” ».

Reprenant le titre de l’ouvrage paru récemment chez Écosociété, de Sadia Messaili, dont le fils psychotique s’est suicidé en 2013, et s’appuyant sur sa propre expérience de proche d’une personne atteinte, elle constatait la persistance d’une « culture paternaliste et infantilisante » dans les dispositifs de prise en charge des troubles mentaux au Québec.

Elle critiquait également le fait que ces derniers soient encore trop centrés sur la médication et sur une approche biomédicale qui ne prend, par définition, pas assez en compte les dimensions sociale, culturelle, économique et environnementale des individus. Elle s’interrogeait ainsi sur ce qui avait changé depuis la parution en 1961 (et non 1962 comme mentionné dans son texte) du livre Les fous crient au secours, dans lequel Jean-Charles Pagé témoignait des conditions indignes dans lesquelles il avait été interné à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal ; ouvrage qui avait conduit à la création de la commission Bédard par le gouvernement Lesage, puis à l’engagement d’une politique de désinstitutionnalisation psychiatrique partout au Québec.

Si on ne peut que s’accorder avec Mme Brossard sur le manque de moyens alloués à la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux au Québec (en témoignent la fermeture de la psychiatrie à l’hôpital Saint-Sacrement de Québec ou la multiplication des incidents à l’Institut Pinel de Montréal) et sur la tendance conséquente à la médicalisation des personnes prises en charge, on s’étonne de la comparaison qu’elle établit pour arriver à ses fins.

Pour mieux questionner la situation actuelle et mettre en avant le fait que les recommandations du rapport Bédard de 1962 n’ont que peu été suivies, Mme Brossard pose en effet comme prémisse à son raisonnement le fait que les religieuses qui œuvraient à Saint-Jean-de-Dieu à l’époque de Pagé « n’avaient pas ou très peu de technique et de formation psychothérapeutique », qu’elles « n’avaient aucune conception de la maladie mentale » et que les « malades étaient internés contre leur gré, subissaient des mauvais traitements et étaient considérés comme des sous-humains ».

Autant de clichés et d’affirmations erronées qui contribuent malheureusement à cette stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux et à cette surmédicalisation de leur prise en charge, que Mme Brossard dénonce.

Comme l’ont montré les historiens depuis près de deux décennies maintenant, l’accueil des malades dans les murs de l’asile, que ce soit celui de Saint-Jean-de-Dieu à Montréal ou celui de Saint-Michel-Archange à Québec, n’avait rien de l’enfer carcéral auquel on l’associe habituellement et qu’ont dénoncé les acteurs de la désinstitutionnalisation au moment de la Révolution tranquille.

Loin des gardiennes violentes et ignorantes dont on veut, hier comme aujourd’hui, dresser le tableau, les religieuses qui œuvraient dans les principaux hôpitaux psychiatriques québécois étaient au contraire des femmes éduquées, à la pointe de la science neuropsychiatrique de leur époque, soucieuses du bien-être de leurs patients et même à l’avant-garde des pratiques de désinstitutionnalisation qui se mirent en place au cours des années 60.

Ainsi, dès 1909, bien loin de la volonté qu’on leur prête souvent, mais à tort, de garder les patients éternellement entre leurs murs, les Sœurs de la Providence qui officiaient à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu de Montréal avaient mis sur pied un dispositif de sortie à l’essai pour favoriser le retour des malades dans leur famille ou leur communauté. 

En 1912, elles ouvraient au sein de l’hôpital une école de gardes-malades pour former, sur trois années complètes, leurs consœurs aux techniques du nursing et aux spécificités de la prise en charge de ceux qu’on nommait alors les aliénés. 

Les pratiques qu’elles mettaient en œuvre dans le soin de leurs patients et qu’elles enseignaient dans cette école étaient celles recommandées par les principaux aliénistes de l’époque. D’ailleurs, plusieurs sœurs montréalaises n’hésitèrent pas à faire, à différentes époques, le voyage en Europe ou aux États-Unis pour observer les usages des plus grands hôpitaux psychiatriques et s’en inspirer.

Proposant des thérapies biologiques de pointe autant que des activités d’occupation thérapeutique, offrant le recours à des travailleuses sociales ou plus tard à des psychologues, l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu d’avant 1960 n’avait rien à envier aux grandes institutions américaines ou européennes, si ce n’est peut-être que son manque constant de moyens était discrètement comblé par le dévouement et l’implication des religieuses qui y travaillaient.

Ces dernières furent même à l’avant-garde de la théorisation des pratiques de nursing et de l’institutionnalisation des sciences infirmières qu’on connaît aujourd’hui.

Ainsi, le « Schéma des fonctions du service du nursing » que les Sœurs de la Providence présentaient dans leur Manuel d’administration du service du nursing publié aux alentours de 1950 n’a rien à envier aux recherches contemporaines dans le domaine.

Mieux encore, il préfigure cette philosophie humaniste, celle qui met la personne atteinte de troubles au cœur de la prise en charge, qui est aujourd’hui le fondement des formations infirmières au Québec et que Mme Brossard réclame à juste titre de ses vœux.

Ainsi, il convient de reconnaître les compétences des religieuses hospitalières québécoises et leur contribution essentielle à l’évolution de la prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale.

Non simplement parce que c’est historiquement vrai, mais aussi et surtout parce que cela permet, d’une part, de déconstruire le récit historique traditionnel qui fait des psychiatres des années 60 les sauveurs des personnes internés dans les grands hôpitaux, récit qui soutient aujourd’hui encore une prise en charge essentiellement médicocentrée, et, d’autre part, de mettre en évidence des modèles de soin autre, pluriel et humaniste, qui peuvent nous inspirer pour repenser un système psychiatrique aujourd’hui à bout de souffle.

* Alexandre Klein et Marie-Claude Thifault sont respectivement coordonnateur et directrice de l’Unité de recherche sur l’histoire du nursing à l’Université d’Ottawa et auteurs de La fin de l’asile ? Histoire de la déshospitalisation psychiatrique dans l’espace francophone au XXe siècle (Presses universitaires de Rennes, 2018).

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