Depuis quelque temps, les armes nucléaires et la peur d’une confrontation entre grandes puissances sont de retour dans l’actualité, constate Michel Fortmann, fondateur du Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale.

La maîtrise des armements a joué un rôle déterminant, autant dans la stabilisation des relations nucléaires entre grandes puissances que dans la mise sur pied du régime international de non-prolifération. Il n’y a strictement aucune raison pour que cette entreprise perde de sa pertinence dans le contexte du second âge nucléaire ; bien au contraire.

D’ailleurs, les politiques adoptées durant la présidence de Barack Obama, de 2009 à 2011, ont traduit une volonté de poursuivre la réduction des arsenaux russes et américains dans le sillage de START, mais aussi de relancer les efforts en matière de non-prolifération. La conclusion de l’accord nucléaire avec l’Iran en 2015 apparaît, à cet égard, comme un premier succès important pour empêcher la nucléarisation d’une puissance régionale dans une zone à risque. L’idée de rassembler ces efforts dans le cadre d’une politique de désarmement générale (Global Zero) a permis au président américain de donner à sa vision une cohérence et une finalité qui ont mobilisé l’opinion publique internationale, au moins durant la première partie de son mandat. Cet épisode, toutefois, devrait plutôt être perçu comme un « chant du cygne ». Le second âge nucléaire a surtout été témoin, en effet, de l’érosion progressive de l’entreprise du contrôle des armements depuis le milieu des années 1990. Un bref coup d’œil sur le tableau ci-dessous* permet de s’en convaincre.

Comme on peut le constater, peu d’éléments de l’édifice bâti depuis la fin des années 80 ont résisté aux retournements politiques des vingt-cinq dernières années.

Qu’il s’agisse des accords de contrôle des armements touchant l’Europe (FCE, FNI), des limites sur les arsenaux stratégiques (START) ou des composantes du régime de non-prolifération, on peut indiscutablement parler d’une crise profonde de la maîtrise des armements. À qui la faute ? Une lourde responsabilité revient sans doute à la politique américaine dans le cadre de deux présidences républicaines, très négatives à cet égard. Les conservateurs du Sénat et du Congrès semblent préférer, de ce point de vue, la supériorité militaire à la négociation. La grogne russe qui a suivi le retrait américain du traité ABM n’a sans doute pas, non plus, contribué à une relance des discussions bilatérales entre Washington et Moscou. La démobilisation des opinions publiques, en ce qui concerne le désarmement depuis la fin de la guerre froide, joue aussi un rôle important dans la passivité des gouvernements face au dossier nucléaire.

En cette fin de décennie, tout semble donc indiquer que les voies de la négociation et du dialogue entre grandes puissances sont bloquées, et le resteront probablement tant que l’occupant actuel de la Maison-Blanche sera là. Comme il l’a dit lui-même en 2016 : « Allons-y pour une course aux armements. Nous serons plus forts que nos adversaires, dans toutes les circonstances, et nous les aurons à l’usure. » M. Poutine, quant à lui, ne s’inspire certainement pas des politiques de M. Gorbatchev. Peu d’espoir que les choses bougent, donc, du côté du Kremlin.

Faudra-t-il attendre une crise comme celle de 1962 ou celle de 1983 pour ramener les grandes puissances à la raison ? On ne l’espère pas, compte tenu du caractère des acteurs en présence et de leur manque d’expérience en matière de crise internationale. Il nous faudra donc faire preuve de patience en espérant que la prochaine administration américaine se rappelle les leçons de la guerre froide.

* L’érosion des accords de contrôle des armements

1996 : Non-ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN) par le Sénat américain.

2002 : Retrait unilatéral du traité ABM décidé par le président Bush.

2007-2015 : Le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) n’est plus respecté par la Russie, puis par l’OTAN.

2013 : La Russie se retire de l’accord Nunn-Lugar qui visait à assurer le démantèlement de l’arsenal nucléaire de l’ex-URSS.

2015 : La conférence de suivi du Traité de non-prolifération se termine sans déclaration finale, faute de consensus.

2016 : La Russie se retire du Sommet mondial sur la sécurité nucléaire lancé par Obama en 2010.

2017 : Retrait unilatéral des États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran.

2017 : Les États-Unis refusent de participer aux discussions de l’ONU sur le Traité d’interdiction des armes nucléaires. Le Traité sera signé par plus de 120 États.

2018 : Retrait unilatéral des États-Unis du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI).

2021 : Le traité New START sera-t-il renouvelé pour cinq ans ?

IMAGE FOURNIE PAR LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Le retour du risque nucléaire, Michel Fortmann, Les Presses de l'Université de Montréal, 64 pages.

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