Tout le monde se dit « sensibilisé » par l’importance de la santé mentale. Tout le monde clame l’importance de pouvoir parler de maladie mentale ouvertement, sans jugement. Dans le vrai monde, on se rend compte bien assez vite que les gens sont beaucoup plus à l’aise d’écouter les autres en parler que de se livrer eux-mêmes. Et c’est normal.

Je sais de quoi je parle. J’ai développé un trouble alimentaire vers l’âge de 12 ans, notamment après avoir été victime d’abus sexuel. Mais au fil des ans, la cause à l’origine de l’apparition de la maladie n’explique pas à elle seule les raisons de son développement, de sa complexification, de son évolution et de sa durée dans le temps.

Me voilà maintenant à 38 ans, certes en bien meilleur état qu’au cours de mes « pires » années, mais ô combien loin d’être sortie de l’enfer sournois que sont les troubles alimentaires. Je suis convaincue que l’on peut en « guérir », mais je suis aussi très lucide.

Je sais que je suis fragile, et que l’anxiété que me causent certains aliments me guette, toujours prête à se jeter sur moi dans les moments où je suis plus vulnérable.

Je demeure vigilante. Toujours. Je prends des forces, physiquement et mentalement, mais la maladie est toujours dans la pièce d’à côté, à faire des poids et haltères pour attaquer lorsque je lui en donnerai la moindre occasion. Constante vigilance, disais-je.

Je fais partie de ceux et celles qui ont fréquemment partagé leurs problèmes de santé physique et mentale sur la place publique. Les gens m’écrivent ou me donnent une tape dans le dos pour me féliciter d’avoir partagé mon histoire. On me dit que je suis courageuse d’écrire en toute transparence ce que je vis ou ai vécu dans le passé. Le simple fait qu’on parle de « courage » est la preuve que même si plusieurs se disent prêts à nous écouter, la société dans son ensemble n’est pas encore rendue là où on voudrait qu’elle soit. Et où voudrions-nous qu’elle soit rendue ? Je ne peux pas parler pour les autres, mais pour moi, le progrès aura réellement été fait lorsqu’on pourra parler de troubles alimentaires avec autant de sérieux et d’empathie que lorsqu’on parle de cancer du sein.

Collectivement, je crois qu’il y a une sincère volonté d’ouverture, mais le changement tarde à venir. Parlez-en à n’importe quelle personne qui a dû arrêter de travailler pendant une période donnée en raison d’un problème de santé mentale. La réalité dans le monde du travail est bien différente de ce que laissent croire certains dirigeants d’entreprises dans le cadre de journées comme Bell cause pour la cause. Je me réjouis d’entendre des témoignages de gens qui ont reçu un soutien précieux de leur employeur. Plus il y aura d’exemples, mieux ce sera. Mais on est encore bien loin d’une majorité de lieux de travail où la maladie mentale est traitée avec le même « respect » que son équivalent physique.

Un regard qui blesse

Les gens qui, comme moi, ont appris à se libérer de la honte trop souvent associée à la maladie mentale se heurtent encore au jugement des autres et à la désapprobation sociale. Ce n’est pas toujours facile de garder la tête haute quand tant de gens portent sur nous un regard qui blesse plus que bien des mots.

Chaque année, on a un petit répit lors de la journée Bell cause pour la cause. Cette journée-là, on a l’impression que tout le pays nous soutient, nous encourage, nous écoute. Cette journée-là, on a l’impression que nos maux sont non seulement pris au sérieux, mais qu’ils sont aussi et surtout accueillis pour ce qu’ils sont : des maladies, et non des caprices. Et puis le lendemain, chacun reprend son chemin… sans réfléchir aux souffrances des uns ni se soucier du poids de son jugement sur les autres.

La conversation évolue, les mots-clics se multiplient. Mais qu’en est-il des ressources ? Qu’en est-il de la réalité en milieu de travail ? Qu’en est-il des perceptions ?

On a beau en parler, mais quand on a besoin d’aide, on a besoin de professionnels, on a besoin de soutien financier, on a besoin de tellement plus qu’un mot-clic et une tape dans le dos.

On a besoin d’espoir pour s’en sortir, et pour y croire, on a besoin de sentir que les autres y croient aussi. Qu’ils y croient avec nous, et pour nous, dans nos moments de désespoir. Parce qu’au-delà des grands discours et des initiatives publiques, il n’existe rien de plus puissant dans la guérison que l’amour et le soutien de ceux qu’on aime. J’en sais quelque chose.

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