Bien que difficile à encaisser considérant les faiblesses du principal adversaire, la défaite des conservateurs d’octobre dernier — et la course à la direction du Parti conservateur en résultant — leur offre une chance inouïe d’évacuer certains flous idéologiques et mettre en vitrine un leader avec lequel une société moderne et épanouie pourra s’identifier.

En tout premier lieu, le parti doit affronter ses démons sur les questions morales. Le prochain chef doit être en faveur de l’avortement et des droits de toutes les minorités sexuelles. Il devra statuer explicitement qu’il n’acceptera pas qu’un député conservateur vienne fragiliser un tant soit peu ces droits acquis. L’approche bancale d’Andrew Scheer à l’automne dernier (« Mes croyances sur l’avortement ne m’influenceront pas ») doit être proscrite pour toujours. Les valeurs d’un premier ministre importent énormément et les électeurs en tiendront toujours compte, comme les résultats d’octobre en témoignent.

Le Parti conservateur a aussi sérieusement sous-estimé la portée de l’environnement comme enjeu politique. Comment avons-nous permis à nos adversaires d’occuper 100 % du champ environnemental ? Comment sommes-nous devenus des climatosceptiques aux yeux de tant de Canadiens ? J’en suis découragé. Notre proximité inconditionnelle et sans nuance avec le secteur pétrolier contribue à la problématique. Aux yeux d’une majorité de Canadiens, nous sommes indissociables de tous les éléments nocifs rattachés à cette industrie.

Pourtant, il est possible d’appuyer le secteur pétrolier canadien tout en adoptant des mesures destinées à combattre les gaz à effet de serre. Les Canadiens utilisent encore très majoritairement des véhicules à combustion. Pendant qu’il se produit une transition — rapide, je le souhaite — vers des solutions électriques, nous devons prioriser l’approvisionnement canadien pour nos besoins en pétrole.

En parallèle, il est impératif de proposer des mesures costaudes (incluant une taxe sur le carbone) pour réduire notre empreinte carbone collective. Le parti s’entête depuis plusieurs années déjà à avancer des propositions largement inspirées de la technologie. J’aimerais moi aussi que l’on invente un aspirateur de carbone géant que nous pourrions lancer dans l’espace. Mais entre-temps, les boys, on fait quoi au juste ?

Ces dogmes autour du mot « taxe » illustrent très bien notre déficit de crédibilité avec l’électorat. Combien de catastrophes climatiques seront nécessaires avant de nous faire réagir ?

À l’occasion des très nombreuses conversations que j’ai eues depuis les dernières semaines, j’ai noté une inquiétante fissure est-ouest dans le parti qui me rappelle une autre époque. J’étais aux premières loges lorsque le Parti progressiste-conservateur et l’Alliance canadienne ont convenu d’unir leurs forces en 2003. Malgré l’animosité qui régnait entre les deux groupes, la réalité avait rattrapé la fiction — sans cette fusion, ni l’un ni l’autre des partis ne formerait un gouvernement au Canada.

Les débuts du Parti conservateur — surtout ce premier gouvernement minoritaire en 2006 — laissaient entrevoir un mariage réussi. Stephen Harper a fait preuve de leadership et de magnanimité en donnant des rôles importants à des ex-adversaires (Peter MacKay, Jim Prentice, moi). Mais la victoire à la Pyrrhus en 2011 où les conservateurs ont obtenu une majorité parlementaire avec seulement cinq députés du Québec (couplée à des départs volontaires, notamment celui de M. Prentice en 2010) a privé le gouvernement d’un courant idéologique plus modéré. Ce n’est pas seulement la dernière défaite que le parti doit exorciser, mais celle de 2015 également. Ne l’oublions pas — nous étions dépeints comme un gouvernement insensible et exagérément partisan. Ces perceptions survivent et le prochain chef devra corriger le tir.

La densification urbaine représente un autre défi important pour le parti. À part Calgary, nous peinons à attirer les électeurs des grandes villes au Canada. Les vox populi tant prisés par les stratèges conservateurs chez Tim Hortons devraient aussi se tenir chez Starbucks !

On s’enorgueillit d’être à l’écoute du « vrai monde » comme si celui-ci n’habitait pas dans les grandes villes.

L’écran de fumée de la victoire au chapitre du vote populaire en octobre dernier n’est que ça — un écran de fumée. Lorsqu’une équipe perd la Coupe Stanley, on se balance qu’elle ait gagné deux matchs de la série par blanchissage. Elle a perdu, point à la ligne.

Je suis inquiet de l’état des finances publiques à Ottawa, des programmes que s’amusent à créer les libéraux avec nos impôts (150 millions de dollars pour encourager le camping…), de la diminution du poids du Canada à l’international et des carences de jugement du premier ministre. Je redoute un ralentissement économique juxtaposé avec ce déficit démesuré que nous lèguent déjà les libéraux. Le tandem Bill Morneau-Justin Trudeau ne m’inspire aucunement confiance. Mais entre voter pour un parti qui est malhabile et nul en maths et un autre qui pourrait nous propulser vers l’arrière sur des enjeux moraux fondamentaux, les Canadiens nous enseignent qu’ils préfèrent être progressistes.

Ma décision

Avant de se mesurer à Justin Trudeau, un candidat devra d’abord remporter les primaires du Parti conservateur. J’en suis venu à la conclusion que je n’y arriverais pas. Parmi le passif que je traîne, celui de m’être absenté des affaires du parti depuis bientôt 10 ans pèse lourd, tout comme celui de n’avoir pu me faire élire aux élections de 2008. Mes opinions tranchées sur les sujets déjà évoqués nuiraient aussi à mes chances. Une proportion significative de nos membres, faut-il le rappeler, favorisait deux candidats lors de la dernière course au leadership en 2017 (Andrew Scheer et Maxime Bernier) avec lesquels j’ai franchement peu en commun. Comme je ne suis pas d’humeur à faire des compromis, je devrais donc attirer beaucoup de nouveaux membres — une tâche possible, mais colossale, qui a beaucoup influencé ma décision. D’autres, plus doués, y arriveront je l’espère.

Le parti doit prendre acte qu’Andrew Scheer n’est pas le seul responsable de notre défaite. C’est l’ensemble de l’œuvre qu’il faut revoir. Cette course va nécessiter non seulement un choc des idées, mais un choc des valeurs. Il faut débarrasser le parti de ses éléments radicaux et convaincre les Canadiens que nous sommes dignes de leur confiance. Pour l’instant, nous sommes plutôt dignes de leur méfiance.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion