Comme jamais auparavant, la pandémie mondiale aura interpellé l’humain. Autant sur ce qu’il est que sur ce qu’il veut devenir. Il faut dire que depuis des milliers d’années, l’humain s’est toujours interrogé sur sa place et son rôle dans l’univers. Mais cette fois-ci, ce fut différent.

Dans sa glorieuse conquête de l’univers, l’humain se retrouva soudainement face à un virus mortel incontrôlable. Une situation qu’il croyait impossible, surtout en 2020. Confiné et sans recours médicaux immédiats, il aboutit à un questionnement d’ordre philosophique, dans sa course folle à l’argent et à la consommation, qu'il avait depuis fort longtemps oublié.

Il n’eut pas le choix : devant un vide existentiel inattendu, il dut renouer avec des interrogations fondamentales. Déjà, récemment, il avait été interpellé par des groupes écologistes au sujet du danger qu’il faisait courir aux générations futures.

D’aucune façon cependant ce souci écologiste n’avait remis en cause le bien-fondé de son existence sur Terre. Au contraire, dans son aptitude à gérer l’univers, il s’y croyait encore essentiel.

Mais avec la pandémie mondiale, cette donne est abruptement tombée. Condamné à compter ses morts et à attendre dans l’angoisse la venue d’un possible vaccin, il se vit arraisonné à devoir penser à la pertinence de son existence sur Terre. Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, ce phénomène ne se produisit à si grande échelle !

Outre quelques milliers de gens qui, peu instruits, furent malheureusement happés par les médias sociaux et leurs balivernes, des milliards d’autres, isolés dans leur salon, furent interpellés et se retrouvèrent face à des questions qui, depuis la nuit des temps, tapissent nos rapports troubles avec la nature.

L’apparition de ce virus mortel les replaçait malgré eux dans une situation inconfortable qu’ils croyaient avoir surmontée depuis la grippe espagnole : leur dépendance aux soubresauts de la nature ! Cela remettait également en cause la valeur du savoir, un savoir technologique si avancé qu’on l’avait cru affranchi de tout.

Mais ces questions ne sont pas nouvelles. Dans sa pièce Antigone écrite il y a 2500 ans, le dramaturge Sophocle (495-406 av. J.-C.) mettait en cause la valeur de notre existence dans la nature. Écoutons le chant du chœur :

Il est ici-bas bien des choses terribles, mais aucune qui soit plus terrible que l’homme… Il torture la déesse suprême, la Terre, la terre impérissable, la terre infatigable… Par ses techniques, ses machines, il impose son pouvoir aux bêtes qui couraient librement dans les montagnes.

Sophocle (Stasimon 1, Strophe 1)

Mais moins de cent ans plus tard, le grand philosophe Aristote (384-322 av. J.-C.) prit ses distances vis-à-vis de ces propos. Pour lui, il faut plutôt voir l’humain non pas comme un ennemi de la nature, mais, au contraire, comme partie prenante de celle-ci.

L’humain y participe autant par son intelligence que par son travail, dira Aristote. Les deux favorisent la nature en ce qu’ils l’achèvent, ajoutera-t-il, c’est-à-dire en lui donnant la cohérence et l’unité qui lui manquent trop souvent. Pour ce faire, expliquera Aristote, l’humain doit s’inspirer du ciel, un ciel dont toutes les nuits il peut admirer la constance et la régularité (voir : Éthique à Nicomaque, livre X, ch. 7).

Selon lui, l’humain serait une sorte de dieu mortel dont la vocation est, grâce à son intellect, de comprendre et d’agir sur Terre (voir : Aristote, Protreptique, Jamblique, ch. 8, 48. 16-21). D’ailleurs, bien avant Aristote, un pré-socratique du nom d’Héraclite avait déjà fait la même remarque : « Il y a aussi des dieux ici-bas » (541-480 av. J.-C.).

On sait par ailleurs que chez les philosophes grecs, et chez Platon en particulier (428-348 av. J.-C.), l’univers se divisait en deux grandes parties : le monde parfait et éternel des astres, défini par Platon comme le monde des idées pures, et le monde terrestre, le nôtre, celui des choses imparfaites et temporelles.

Notons toutefois que pour Platon, nous n’aurions pas vraiment accès, comme le croyait Aristote, au monde astral. Au plus, disait-il, on n’en est qu’un pâle reflet. Malgré nos tentatives de l’imiter, nous sommes condamnés à rester imparfaits sur Terre, dira Platon. (Sur Platon, on consultera le travail magistral du philosophe québécois Luc Brisson.)

Évidemment, le débat à ce sujet reste ouvert et ne sera probablement jamais tout à fait clos. Pierre Aubenque, malheureusement décédé pendant la pandémie (1929-2020), concluait sagement au sujet de ces questions : « C’est parce qu’elles n’ont pas de solution qu’il faut toujours chercher à les résoudre et que cette recherche de la solution est finalement la solution elle-même » (Le problème de l’être chez Aristote, 1972, p. 508).

La profondeur et l’humilité aujourd’hui perdues que l’on retrouvait chez ces penseurs de l’Antiquité doivent, je pense, nous inspirer et nous servir aujourd’hui de guide pour comprendre et assurer la pertinence de notre existence dans l’univers.

Tout autant qu’on le faisait il y a 2500 ans, c’est maintenant à notre tour d’y réfléchir. C’est ainsi uniquement que nous trouverons le meilleur chemin à suivre dans les méandres présentement sombres de notre vie sur Terre.

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