Aujourd’hui, les superhéros américains sont partout. Mais sait-on que, dans l’ombre des géants créés par Marvel Comics (Disney) et DC Comics (Warner Bros.), il existe quelques superhéros québécois ? Cet article est le quatrième d’une série de sept textes.

Rien ne laissait présager au départ que The Jam (nommé The Jammer lors de ses premières aventures) deviendrait l’un des plus illustres superhéros québécois. Apparu chez l’éditeur montréalais Matrix Graphic Series, ce personnage créé en 1984 par Bernie Mireault, un jeune bédéiste originaire de Rawdon, était destiné au départ à jouer un rôle secondaire.

Un héros « ben ordinaire »

Les origines de The Jam sont racontées dans une série de soutien publiée à la toute fin des numéros 2 à 5 de New Triumph Featuring Northguard, série phare de Matrix Graphic Series.

On y découvre Gordon Kirby, un Montréalais ordinaire qui aime patrouiller dans la ville en grimpant sur les toits des édifices. Kirby se donne la mission de dominer le monde en prônant la paix, l’amour et la consommation de bière.

Fi donc, ici, des épopées galactiques et des aventures fantastiques ! Par rapport aux superhéros américains traditionnels, Kirby (alias The Jam) lutte au départ contre des crimes peu spectaculaires (violence conjugale, braquage de dépanneur), même si, plus tard, il aura la chance de se faire valoir contre des terroristes et des suppôts de Satan.

Il montre aussi cette originalité de n’avoir aucun pouvoir spécial comme justicier : revêtant un costume bricolé par sa sœur à partir de vêtements de sport achetés chez Sears, il ne possède aucune habileté surhumaine. Ne pouvant se défendre autrement qu’avec ses poings, il court d’énormes risques chaque fois qu’il affronte ses ennemis.

Peu brave, il refuse de s’impliquer dans les conflits les plus dangereux. Lors de sa première sortie costumée, le superhéros est terrorisé quand il voit une vieille dame être assaillie par des voyous qui veulent lui voler son sac à main. Redoutant le combat, The Jam effraie plutôt ces derniers en vociférant des menaces : « Je vous tuerai tous… Nya-ha-ha-ha ! ! ! […] Je vous mangerai… TOUT CRU ! ! ! » Surpris, les bandits s’enfuient, à la grande satisfaction du héros, qui ne peut s’empêcher de laisser échapper un « J’aime ça ! » (« I love it ! » dans la version originale anglaise) bien senti.

Un devancier de Kick-Ass

Mi-sérieuse, mi-comique, la série injecte à la fois une dose de réalisme et d’humour à la bande dessinée de superhéros.

The Jam ressemble en bien des points au héros masqué américain Kick-Ass, qu’il précède de près de 25 ans. Tout comme Kick-Ass, The Jam est faillible et dispose de moyens limités. Sa force réside dans son enthousiasme inébranlable et son profond désir d’aider ses semblables.

Les deux personnages sont de simples citoyens qui décident impulsivement de s’improviser superhéros. Leurs costumes faits main, d’ailleurs très similaires, et les séquelles physiques qu’ils gardent à la suite de leurs multiples combats trahissent leur vulnérabilité et leur inexpérience. Mal préparés, ils agissent en se fiant à leur intuition… et en paient souvent le prix !

Comme le fera Kick-Ass après lui, The Jam donne corps à une volonté d’autodéfense qui est partagée par plusieurs personnes, alors que monte dans les années 1980 et 1990 l’idée d’une société violente et oppressive. Face aux méchants qui intimident et exploitent les faibles, un peu tout le monde souhaite l’existence de « vigilantes », ces individus qui se proposent pour patrouiller bénévolement dans les quartiers afin de maintenir l’ordre. En ce sens, il représente un modèle auquel les lectrices et les lecteurs peuvent facilement s’identifier.

Le destin américain de The Jam

Les lecteurs de New Triumph Featuring Northguard ne tardent pas à remarquer les qualités de la série The Jam. Le traitement atypique du superhéroïsme et le style visuel unique de Mireault attirent les éloges.

Flairant le potentiel de l’univers créé par Mireault, Mark Shainblum, éditeur en chef de Matrix Gaphic Series, lui propose de publier une série de comic books consacrée uniquement à The Jam. Un seul numéro paraîtra, en 1987, avant que Matrix Graphic Series cesse ses activités à cause de difficultés financières. Ce numéro, intitulé The Jam Special #1, recueille les courtes histoires parues dans New Triumph et leur ajoute une aventure inédite.

Coriace, The Jam survit toutefois à la fermeture de Matrix Graphic Series. Ses péripéties sont poursuivies chez de nombreux éditeurs américains au cours des années 1980 et 1990. Il collabore même, le temps de deux numéros, avec Madman, le superhéros déjanté créé par l’artiste légendaire Mike Allred !

Débordante d’originalité, l’œuvre de Bernie Mireault (à qui on doit aussi l’excellente et désopilante série de science-fiction Mackenzie Queen) est un véritable joyau caché. Avec son style visuel unique et maîtrisé, ses dialogues rythmés et son humour omniprésent, The Jam se hisse parmi les meilleures séries de superhéros créées au Québec.

À lire demain : Des superhéros canadiens sur vos écrans

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