Aujourd’hui, les superhéros américains sont partout. Mais sait-on que, dans l’ombre des géants créés par Marvel Comics (Disney) et DC Comics (Warner Bros.), il existe quelques superhéros québécois ? Cet article est le troisième d’une série de sept textes.

En 1933, le marché de l’édition nord-américain est secoué par une invention majeure : les comic books. Ces fascicules, de petits formats et publiés sur du mauvais papier, sont vendus pour seulement quelques sous dans les tabagies, les diners et les pharmacies.

Bientôt, le marché de la bande dessinée en Amérique du Nord est dominé par les comic books. Le récit de superhéros y trouve une niche particulièrement adaptée afin de développer des séries qui s’étirent sur plusieurs années.

Au Québec, il faut attendre le tournant de la décennie 1970, et surtout 1980, avant que des maisons d’édition se lancent dans la publication de comic books de confection locale.

Gardien de la fédération

Parmi les éditeurs qui émergent à cette époque, se distingue la maison montréalaise Matrix Graphic Series, fondée par Mark Shainblum, en 1984.

La première série de Matrix Graphic Series, New Triumph featuring Northguard, est scénarisée par Shainblum lui-même et illustrée par Gabriel Morrissette. Elle dure de 1984 à 1987.

Elle met en scène les exploits de Phillip Wise. Ce jeune homme de 20 ans a été recruté par l’agence de sécurité privée P. A. C. T. (Progressive Allied Canadian Technologies), située à Vaudreuil, afin de devenir un superhéros.

On lui donne le nom de Northguard et on lui glisse au poignet le précieux Uniband, un appareil technologique qui émet des rayons répulsifs et des décharges électriques et qui permet au costume du héros de se matérialiser sur demande. Les superpouvoirs de Northguard ne sont donc pas magiques ou surnaturels ; ils découlent de simples prouesses technologiques.

Mêlant les récits d’espionnage et de superhéros, la série New Triumph reprend certains thèmes des Gardiens de la Galaxie (il faut se souvenir que la série de Marvel devait à l’origine mettre en scène de super-miliciens luttant contre des Russes et des Chinois communistes qui cherchaient à diviser les États-Unis). Mais, cette fois, c’est à un « gardien du nord » que l’on a affaire. Il ne s’agit pas de défendre l’espace intersidéral, mais de protéger une nation canadienne menacée.

Un superhéros unifolié…

Dans le premier numéro de la série New Triumph, un attentat doit être commis par un groupe terroriste américain lors d’un ralliement du Parti québécois. Intervenu au bon moment, Northguard réussit à déjouer le complot et à éviter la catastrophe.

Northguard découvre alors que cette attaque avait pour but de raviver les tensions politiques entre les anglophones et les francophones du Canada. Pire encore, elle devait déclencher une guerre civile qui aurait mené à l’annexion du Canada aux États-Unis !

Northguard se scandalise de cette tentative d’atteinte à l’unité nationale : « Quelqu’un essaie de rouvrir d’anciennes plaies. Quelqu’un de l’extérieur. Eh bien ! Je ne les laisserai pas faire ! Nous sommes venus de trop loin, dans cette province, pour que je laisse quiconque nous ramener dans un climat de haine et de paranoïa ! »

Malgré ce mouvement de colère, Northguard s’affirme comme un fier représentant des valeurs de tolérance et de bon sens qui seraient le propre de la nation canadienne. Fédéraliste convaincu, il saisit toutes les occasions pour débattre avec respect avec ses ennemis.

… et une espionne fleurdelysée

Faisant ses débuts dans le monde des superhéros, Northguard ne maîtrise pas parfaitement ses nouveaux pouvoirs. Pour compenser ses faiblesses, il s’adjoint les services de Manon Deschamps, rencontrée par hasard dans une salle de danse.

Deschamps, qui est experte en arts martiaux, convainc rapidement l’agence P. A. C. T. de l’embaucher. Le hic, c’est qu’elle est une fervente indépendantiste ! Conformément à ses convictions, elle adopte le sobriquet de Fleur de Lys et un costume fleurdelysé !

Tout improbable qu’il soit, le duo qu’elle forme avec Northguard s’avère redoutable pour lutter contre le terrorisme international. Les qualités athlétiques supérieures de Fleur de Lys et le sens du devoir de Northguard se complètent parfaitement.

On sent bien, à travers cette relation, le message que Shainblum et Morrissette soutiennent. La coopération entre les francophones et les anglophones du Canada est souhaitable. Le Québec et le reste du Canada peuvent seulement rivaliser contre les puissances étrangères en mariant leurs forces. La tension sexuelle qui se développe entre Northguard et Fleur de Lys ne fait qu’accentuer symboliquement ce fantasme d’une union entre un « mâle » et « wise » Canada et une « belle province » un peu « fleur bleue ».

Une BD exceptionnelle

La BD imaginée par Shainblum et illustrée par Morrissette est à maints égards exceptionnelle. L’originalité du scénario et la qualité des dessins sont remarquables. Comme les aventures de Northguard et Fleur de Lys se passent à Montréal, des passages sont écrits en français (voire en joual) et en anglais, afin d’ajouter une touche de réalisme au récit.

Même si Matrix Graphic Series n’a publié que cinq numéros de New Triumph (trois autres sont parus chez l’éditeur américain Caliber Press), l’impact de cette série sur la culture canadienne est indéniable. Signe de son endurante popularité, l’éditeur torontois Chapterhouse Comics a relancé la carrière de Northguard, en 2016, en lui dédiant une série éponyme.

En 1995, quand Postes Canada avait voulu honorer les superhéros canadiens, on avait fait une place (à côté, entre autres, de Superman et Captain Canuck) à Fleur de Lys. Vingt-cinq ans plus tard, il importe de se rappeler qu’il n’y a pas que les Américains qui peuvent se vanter d’avoir des « super-gardiens de la fédération » !

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