Mon souvenir le plus marquant de Noël est qu’enfant, alors que j’étais servant d’autel à la Basilique, je m’étais évanoui en pleine messe de minuit, le cardinal m’ayant littéralement asphyxié avec la fumée d’encens qu’il répandait sans retenue. Dans ma chute, j’ai emporté sa crosse à laquelle j’essayais désespérément de m’accrocher, devant une foule ébahie.

Si je m’étais retrouvé dans cette position, soit servir la messe bien que ma famille soit radicalement athée, c’est que ma mère avait réalisé qu’alors que j’étais sur le point de finir ma deuxième année du primaire, je ne savais toujours pas écrire mon nom sans faute (à ma défense… elle aurait pu choisir un prénom plus court !). On m’avait donc changé d’école pour que je reçoive une éducation stricte. Nouvelle école que j’ai tellement haïe que j’aurais probablement décroché, n’eût été une rencontre qui a changé le cours de ma vie.

Sœur Lorraine, la professeure de piano attitrée de l’école, m’accueillait tous les matins pour une leçon de 15 minutes, juste avant que les classes ne commencent. Non seulement était-elle la bonté incarnée, ce qui me donnait le courage d’affronter le reste de la journée que je détestais par ailleurs, mais ses leçons m’ont à la fois donné le goût de la beauté et le sens de la rigueur. Peut-être a-t-elle un peu abusé de sa position en me poussant à me proposer comme garçon de messe (elle m’avait aussi convaincu d’aménager un petit prie-Dieu dans ma chambre, à la stupéfaction de ma mère).

Mais cet abus est tout pardonné, car, à défaut d’avoir reçu la foi, j’ai gardé une profonde admiration pour les rites et coutumes des différentes cultures et religions, puis un attachement tout particulier pour Noël et sa magie.

Comme beaucoup, le fait d’être séparé de mes parents et beaux-parents cette année me peine beaucoup. Qu’on me comprenne bien : je ne suis pas à plaindre. Nous avons la chance d’avoir chez nous, dans notre famille reconstituée, quatre enfants dont l’esprit et les sourires valent toutes les foules du monde. Mais quand même, de ne pas avoir pu les emmener, comme chaque année, dans la grande famille de mon enfance me pèse.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Enfant, alors que j’étais servant d’autel à la Basilique, je m’étais évanoui en pleine messe de minuit », écrit l’auteur.

Cela, d’autant plus qu’à 16 ans, j’avais fait grève pour protester contre le fait que mes parents m’avaient demandé de rejoindre la « table des enfants ». S’apercevant que je ne sortirais pas de ma chambre avant d’avoir gain de cause, mes parents sont arrivés au compromis suivant, soit de déménager les meubles du grand salon dans la petite salle à manger, puis de dresser une immense table dans le salon pour que tout le monde y trouve place. Seule condition de ma mère : que je m’occupe de l’opération, sans aide. Cette année, l’opération, qui est devenue une tradition, n’aura pas lieu. Qui d’autre que moi pourrait s’en occuper, mais surtout, à quoi bon puisque tout le monde fêtera dans son coin, sans famille ?

Triste épisode. Mais plus tard, beaucoup plus tard, lorsqu’on se rappellera ce temps de la pandémie, ce n’est pas cette peine qui sera chantée, mais plutôt la force de notre volonté collective et la puissance des sacrifices que nous aurons faits. Cela, par amour de notre prochain, pour reprendre l’expression.

Joyeux Noël !

* * *

Je termine ce texte d’un lit à l’hôpital Sacré-Cœur. Plus tôt cette semaine, alors que j’avais enfilé mes skis alpins pour la première fois de la saison, j’ai manqué un virage et j’ai été projeté dans un petit ravin fait de grosses roches. Bilan : deux côtes cassées, la rate lacérée et le poumon perforé. Et surtout, une douleur intense des pieds aux épaules. J’aurais pu mourir. En fait, j’ai failli mourir. Mais il faut croire que je n’étais pas prêt, du moins pas avant que je ne répare l’humiliation d’avoir été battu deux fois consécutives aux échecs par ma fille de 15 ans avant hier, ni avant d’avoir rempli ma promesse de mariage à ma blonde, promesse deux fois reportée à cause de la pandémie. Plus tard, donc, la mort.

Un mot, surtout, pour remercier les sauveteurs, les ambulanciers, les infirmières, médecins et préposés qui m’ont sauvé. Leur compétence, et surtout leur bonté, confirme en quelque sorte le point que j’ai essayé de développer dans ce texte, à savoir que notre vivons dans une société composée de gens extraordinaires.

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