Aujourd’hui, les superhéros américains sont partout. Mais sait-on que, dans l’ombre des géants créés par Marvel Comics (Disney) et DC Comics (Warner Bros), il existe quelques superhéros québécois ? Cet article est le premier d’une série de sept textes.

À partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les comics américains commencent à circuler abondamment dans la province. Afin de réagir contre cette invasion, des dessinateurs locaux inventent des aventuriers plus ou moins inspirés des héros américains.

Parmi cette littérature québécoise, un titre se distingue en présentant deux protagonistes aux facultés surhumaines. Écrite et scénarisée par Paulin Lessard (alors âgé d’à peine 16 ans), la série « Les deux petits nains » paraît dans Le Progrès du Saguenay, de 1947 à 1949.

La rédaction du Progrès du Saguenay est fière de publier cette œuvre au lieu de séries américaines. Elle affirme « […] qu’elle intéressera sans déformer les jeunes esprits par des laideurs journalières ainsi que le font tant de cartoons aux acteurs monstrueux ».

La série met en vedette deux enfants, Guy et Pierrot, à la physionomie invraisemblable. Les jeunes garçons mesurent à peine quatre pouces !

Cette petite taille ne les empêche pas de pouvoir courir à une vitesse vertigineuse et de bondir à des hauteurs surprenantes. Ils possèdent aussi une vision aiguisée et une force exceptionnelle. Enfin, ils ont la capacité de se faire obéir par certaines espèces animales.

Il ne leur manque qu’un costume de superhéros pour que leur portrait soit complet… bien que leur habit d’écolier ne soit pas loin d’en être un !

Un imaginaire « fantastique »

Le récit de Guy et Pierrot puise dans plusieurs genres fictionnels : le récit de guerre, la science-fiction et le conte fantastique. Ces multiples genres sont arrangés de manière à mettre en valeur les propriétés « superhéroïques » de deux personnages qui habitent une île utopique.

Dans le premier épisode de leurs aventures, les deux garçons font la rencontre d’un peuple d’extraterrestres miniatures, les Lutons. Ceux-ci sont pourchassés par les ignobles Fusons, qui souhaitent les exterminer. Pour les défendre, les humains entrent en guerre contre les Fusons. Au fil des livraisons de la bande dessinée, Guy et Pierrot traquent, assomment et tuent sans remords les soldats ennemis.

Deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un certain sens de la justice et du patriotisme semble justifier, sous la plume de Lessard, le combat armé et le meurtre.

Après leur victoire contre les Fusons et d’autres péripéties tout aussi rocambolesques, les deux petits nains sont transportés sur une île perdue où vivent les fées des champignons, de petites créatures ailées mises en esclavage par Pietro l’ermite et sa horde de démons. Armé d’une épée magique, Guy — temporairement séparé de son frère — surmonte les épreuves que les démons lui imposent, vainc l’ermite et libère les fées. Proclamé souverain du peuple démoniaque grâce à ses exploits, Guy cède ses pouvoirs à la reine des fées, qui fera régner l’harmonie sur l’île mystérieuse.

Toujours, dans leurs aventures, les deux petits nains triomphent. Ils sont minuscules, mais anormalement rusés et forts. À l’image, peut-on supposer, des Canadiens français !

Une série québécoise à la sauce américaine

On devine, à la lecture de la série créée par Lessard, que la bande dessinée « Les deux petits nains » est traversée par l’influence des comics américains. D’une part, le trait de Lessard, maîtrisé malgré le jeune âge de l’auteur, rappelle celui de Milton Caniff (Terry and the Pirates).

D’autre part, sans incorporer toutes les caractéristiques des superhéros traditionnels (dont le costume et l’identité secrète), les deux petits nains en reprennent quelques motifs dominants. Dotés de superpouvoirs et mus par une vocation de justicier, ils participent d’un univers fantastique où s’additionnent les figures maléfiques. C’est en ce sens que l’on peut avancer qu’ils sont les précurseurs des superhéros québécois qui se multiplieront à partir des années 1970.

Récipiendaire en 2019 du prix Albert-Chartier, qui souligne sa contribution exceptionnelle au milieu de la bande dessinée québécoise, Paulin Lessard signe avec cette première œuvre l’une des bandes dessinées locales les plus éclatées et les plus modernes de son époque.

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