Ma mère avait de bien belles qualités, mais elle avait également des défauts qui semblaient tous se manifester en même temps la veille de Noël au soir.

La maison était en désordre, le sapin tout nu, pas encore fait. Ce qui était sans doute sa crainte de ne pas se révéler à la hauteur de l’évènement rendait maman presque méchante ce soir-là. Comme si elle avait eu besoin de croire que c’était ses enfants qui étaient responsables de ce qui n’allait pas dans sa vie.

La fée des Étoiles

Après nous avoir bourrassés comme il faut, on nous couchait à 8 h le soir, malheureux à mort, convaincus de vivre dans une famille de fous même pas capable de fêter Noël comme tout le monde, même pas capable de fêter Noël comme du monde.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Messe de Noël à la paroisse Saint-Jean-Baptiste

Trois heures plus tard, métamorphosée en fée des Étoiles, maquillée, belle, maman nous réveillait en souriant pour nous faire entrer au paradis. La maison était toute rangée et éclairée, le sapin arborait ses plombs, ses boules et ses lumières multicolores.

C’était Noël !

L’interminable messe de minuit nous faisait trépigner d’impatience de revenir à la maison pour – surtout ! surtout ! surtout ! – les cadeaux.

Au pied de l’arbre, chacun avait sa pile de paquets rutilants dans leurs emballages enrubannés. On les comptait, on les brassait, c’était les plus jeunes qui en avaient le plus.

Après le réveillon, la nuit de Noël se prolongeait jusqu’aux aurores. Ah ! La plus merveilleuse sensation de fatigue du monde quand on se traînait finalement dans le lit à 7 h pour se coucher !

Le paradis se prolongeait jusqu’au jour de l’An : toute une semaine sans école, sans horaire, sans règles. Juste entre nous, en toute liberté, hors du temps. Étrenner et comparer nos cadeaux. Se coucher et manger à toute heure : des biscuits frigidaire, des beignes, des pâtés de viande que l’on pigeait dans une grosse boîte en métal dehors, à côté de la porte d’en arrière, dans le froid glacial du Saguenay.

C’était les mokas blancs au coconut qui partaient le plus vite. Et il y avait ces féroces, ces joyeuses, ces interminables parties de Monopoly. Je revois encore l’air effaré de ma sœur quand notre mauvais perdant de frère avait envoyé revoler en l’air tout le jeu en plein milieu d’une partie. Avec l’argent, les hôtels, les maisons, les pitons, tout…

Penser aux jeunes

Je suis conscient que Noël ne semble plus représenter grand-chose pour bien des gens de ma génération, certains baby-boomers semblant presque contents que les festivités soient réduites au minimum cette année.

Mais c’est aux jeunes que je vais penser demain soir. Aux enfants, bien sûr, mais aussi aux adolescents et même aux jeunes adultes, en me rappelant ma chance d’avoir de si beaux souvenirs de Noëls d’enfant.

Tous ces jeunes qui seront privés de Noël comme ils auront été privés de tellement d’autres choses cette année, à un âge où ils ont dramatiquement besoin d’interactions, de relations et de contacts qui ne soient pas que virtuels.

C’est à ces jeunes que je vais penser demain soir.

Et je serai toujours reconnaissant à ma mère de nous avoir prouvé, malgré son mal de vivre, que le paradis existe bel et bien sur Terre, m’aidant à passer au travers de ces malheurs que j’ai vécus par la suite, ces malheurs que plusieurs Québécois connaissent maintenant.

J’aime aussi penser que, le jour où je m’endormirai à jamais à mon tour, ce sera pour aller retrouver ce paradis-là. Maquillée, souriante et belle, maman me réveillera, papa à côté d’elle. Il y aura des mokas au coconut, mon frère sortira le jeu de Monopoly.

Jean me dira : « Comme tu en as mis du temps à venir me retrouver ! Viens voir, notre Margaux est vraiment la plus belle chatte du ciel. »

Je retrouverai à jamais le paradis de mes Noëls d’enfant.

Bonne année 2021 !

* * *

En cette année particulièrement difficile, je vous souhaite de trouver votre façon à vous de passer, sinon le plus joyeux des Noëls, du moins le plus apaisant.

Une amie me disait l’autre jour que, tous les 1er janvier au matin, son grand-père avait comme tradition d’ouvrir la porte d’entrée et la porte du patio quelques minutes en même temps, pour laisser sortir la dernière année et laisser entrer la nouvelle.

Je vous avoue qu’en ce qui me concerne, même s’il fait -25 degrés Celsius dehors le matin du jour de l’An, je vais laisser les deux portes grandes ouvertes au moins une demi-heure, question d’être sûr que cette maudite année 2020 s’en aille pour ne plus jamais revenir.

Je souhaite que l’année 2021 nous soit plus clémente, nous redonnant l’insouciance et la joie de vivre momentanément envolés, avec le paradis à la fin de nos jours que nous avons bien mérité.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion