Nous avons passé presque toute l’année en pensant éviter notre tradition annuelle : cette fameuse crise linguistique existentielle. Mais la nouvelle était trop bouleversante pour être ignorée. Quelqu’un a dit « hi » dans un magasin de la rue Sainte-Catherine ! En un clin d’œil, 43 ans de progrès de la loi 101 se sont évaporés. Pouf ! Les Anglais sont de retour. Nous sommes condamnés.

Pour aggraver les choses, une jeune femme passionnée de politique a osé demander, au commissaire des langues officielles, des informations statistiques… sur les langues officielles du pays. Pire encore, elle a fait cette demande inconcevable lors d’une réunion du comité linguistique parlementaire !

À la vue de sang dans l’eau, les requins ne tardèrent pas à apparaître. Ce fut un moment réconfortant d’unité nationale lorsque les libéraux, les bloquistes, les conservateurs et même le NPD ont décidé qu’ils pouvaient tous être d’accord sur le fait que la langue française est en déclin au Québec et au Canada.

Et ce, peu importe que, selon le dernier recensement, 400 000 Canadiens de plus aient indiqué qu’ils pouvaient parler français, et que 900 000 personnes de plus parlent français aujourd’hui par rapport à il y a 20 ans.

Je n’ai pas tiré ces chiffres du ciel, ce sont des données statistiques du recensement publiées par Statistique Canada et le bureau du commissaire aux langues officielles. Ce bureau relève de la responsabilité de la ministre Mélanie Joly, qui a peut-être été la première libérale à jeter sa collègue sous le bus. En politique canadienne, on ne peut jamais ignorer trop rapidement les informations factuelles qui contredisent nos hypothèses communes.

Entre questionnement et étonnement

Je me souviens avoir demandé à mon professeur d’histoire du secondaire pourquoi nous appelions l’ère Duplessis la « grande noirceur ». Il m’a expliqué qu’avant la Révolution tranquille, les Québécois vivaient dans la peur – peur des étrangers, peur de ce qui est différent, peur de ce qui est nouveau. Nous étions opprimés, enfermés dans des cages mentales. Nous écoutions le prêtre qui nous disait quoi faire, quoi penser, qui aimer et pour qui voter. Le ciel est bleu, l’enfer est rouge…

Avons-nous conservé notre liberté durement gagnée alors que nous croyons toujours être au bord de l’anéantissement ? Il y a sept millions et demi de francophones de langue maternelle au Canada. Il y a des langues dans ce pays qui sont menacées d’extinction. La langue française n’en fait pas partie.

Suis-je inquiet des anglophones unilingues à Montréal ? Oui, mais uniquement parce que beaucoup d’entre eux partiront sans doute une fois diplômés. Il est vrai que certains élèves ne maîtrisent pas la langue française avant de commencer leurs cours, étant donné le nombre élevé d’entre eux venant de l’extérieur de la province. Mais ont-ils le droit de travailler et d’apprendre la langue française d’une meilleure façon que dans les magasins ?

Je suis étonné que ce que proposent nos politiciens pour résoudre ce problème imaginaire soit des mesures punitives qui auront principalement un impact négatif sur la vie du citoyen moyen. Ce n’est pas nouveau pour le Québec, les élites ont toujours veillé à ce que leurs enfants reçoivent la meilleure éducation et apprennent autant de langues qu’ils voulaient. Paul St-Pierre Plamondon a étudié à l’Université McGill et à l’Université d’Oxford, mais refuserait à son propre peuple – le peuple qu’il souhaite conduire à « l’indépendance et la souveraineté » – le droit de choisir sa propre langue d’enseignement. C’est ça, la liberté ?

Les linguistes ne sont pas préoccupés par la vitalité de la langue française – le problème n’en est même pas un de langue –, mais par le contrôle.

Certes, l’indépendance nous sauverait : un Québec indépendant fera son propre recensement, et le poids proportionnel des francophones sera évidemment beaucoup plus élevé.

Mais je ne suis pas convaincu que j’aimerais vivre dans un pays avec si peu d’assurance qu’il s’effondre lorsque quelqu’un utilise la « mauvaise » langue dans une salutation.

Vers la nouveauté

Il est peut-être temps d’essayer quelque chose de différent : peut-être encourager les gens à parler français plutôt que de punir ceux qui ne le font pas.

Comment se fait-il que durant toutes ces années, malgré tous les discours sur le déclin inévitable de la langue française, aucun gouvernement n’ait jamais ordonné à l’Office québécois de la langue française d’offrir des cours de français gratuits à ceux qui en ont besoin et qui en ont envie ?

Pourquoi les Anglais sont-ils toujours « têtus », les immigrants toujours « paresseux » et les Français toujours souffrants, assiégés et désespérément en quête d’une protection qui ne peut être assurée que par les politiciens, nos nouveaux curés ?

Tant que nous nous permettrons d’être manipulés par des pensées familières, mais empiriquement impossibles, nous resterons enfermés dans nos cages mentales.

S’inquiéter ressemble beaucoup à une chaise berçante : cela vous donne quelque chose à faire, mais vous n’allez nulle part.

* « Malgré mon nom carré, je suis plus francophone qu’anglophone », dit l’auteur

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