Le temps des Fêtes est à nos portes et malgré les missives du gouvernement, certains se préparent à girafer quand même. Pour ceux qui se grattent déjà la tête, girafer est une particularité lexicale, pour ne pas dire une facétie du français parlé dans ma région africaine natale. En Afrique de l’Ouest, un élève girafe à l’examen quand il allonge son cou pour épier la copie du voisin. Girafer, c’est tout simplement tricher. Et bien sûr, un élève qui se fait prendre à girafer aura inéluctablement une tache à son dossier ! Il y a d’ailleurs cette blague qu’on se racontait sur le sujet. « Tu as girafé à ton examen, dit le professeur à Mamadou. Je le sais parce qu’à la question numéro 5, ton voisin a répondu : “Aucune idée”. Et toi, tu as répondu : “Moi non plus, alors !” »

Tout ça pour dire que si l’envie d’allonger illégalement le cou vous chatouille, il faudra grandement vous méfier des adeptes de la dénonciation à la façon Valérie Plante et des caméras de téléphone, comme vient de l’apprendre à la dure le député de la CAQ dans la circonscription de Rivière-du-Loup–Témiscouata, Denis Tardif.

Entendons-nous bien, je n’encourage pas ici la désobéissance civile. Je crois fermement que dans la situation épidémiologique actuelle, fêter dans sa petite bulle familiale est la seule chose à faire. Malheureusement, cette précision apportée, je dois revenir à ceux qui vont inévitablement girafer, car c’est aussi se mettre la tête dans le banc de neige que d’ignorer cette réalité. Ces délinquants pas toujours malveillants célébreront derrière les rideaux bien fermés et le char de la visite stationné loin dans la rue. C’est le réflexe normal, mais entre vous et moi, vous croyez vraiment que vous allez passer inaperçus à marcher trois coins de rue avec une bouteille de vin, une bûche pour le dessert et trois-quatre cadeaux dans les bras ?

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« Si l’envie d’allonger illégalement le cou vous chatouille, il faudra grandement vous méfier des adeptes de la dénonciation à la façon Valérie Plante et des caméras de téléphone », écrit Boucar Diouf.

Il y a deux risques associés à un tel coup monté, vous dirait la girafe. D’abord, une facture salée de 6000 $ le couvert pour une tourtière partagée dans un bungalow, si délicieuse soit-elle, ce n’est pas ce qu’on peut vraiment appeler un beau cadeau de Noël.

Mais le plus grand danger qui guette un tel esprit subversif, c’est de vivre avec la lourde charge d’avoir fait tomber grand-papa ou grand-maman alors que les vaccins cognaient presque à sa porte.

Advenant un si dramatique cas de figure, pour revenir une deuxième fois aux particularités lexicales de la francophonie, j’entends bien mon ami acadien dire d’un tel irresponsable qu’il n’a pas inventé le reculons sur les homards. Remarquez, il y a beaucoup de choses que ce type pas très clairvoyant n’a pas inventé, comme la poudre à canon, le fil à couper le beurre, la machine à cambrer les bananes, les taches jaunes sur les culs des bourdons, le pavé uni sur les girafes et le bouton à quatre trous qui est devenu la roue à trois boutons sous le règne de Sam Hamad. Malgré tous ces particularismes, le homard reste mon préféré, surtout avec du beurre à l’ail. Il demeure aussi mon premier choix, car comme ce crustacé, nous allons tous muer dans quelques mois et nous débarrasser de cette grosse carapace inconfortable et anxiogène que le virus a installée sur notre existence.

Maintenant que cette lumière est bien visible au bout du tunnel, ce n’est peut-être pas le temps de se convertir au je-m’en-foutisme et d’improviser un karaoké ou un cercle de danse dans le sous-sol sous prétexte que vous êtes huit personnes et que ça bouge, comme le recommandait le premier ministre pour les activités extérieures. « Tant que ça grouille, y a pas d’embrouille », n’est pas la chanson à répondre la plus appropriée en ces temps de pandémie.

Parlant de cercle de danse, permettez-moi de faire un dernier aparté lexical pour respecter la règle des trois dans mon texte. Si vous cherchez un cercle de danse parfait en ces temps où on tourne en rond dans les salons, ce n’est pas au Québec, mais en Haïti où on danse le compas qu’il faut aller. Bien que le cercle de danse semble universel, les Québécois, les Acadiens et autres francophones du Canada ont opté plutôt pour la dissidence en exécutant des danses carrées.

Quel lien avec mon sujet ? Les rapprochements interdits et le temps des Fêtes. Rappelons que ces danses étaient aussi autrefois des prétextes pour se coller, se frôler et se toucher. Grâce à elles, les francophones sublimaient les contraintes de la monogamie et la pudeur qu’imposait la religion catholique omniprésente. Aussi, sans girafer, il arrivait qu’on change de partenaire, comme le demandait souvent le calleur. Même que, parmi les grandes rondes et les danses carrées, il se formait parfois des triangles amoureux. Comme quoi Desproges avait raison de penser que la danse est cette frustration verticale d’un désir horizontal.

La frustration, c’est le mot le plus juste pour décrire ce que ressentent les enfants en ces temps maudits, et il faut désamorcer les tensions et baisser la température dans le logis des familles nucléaires.

Fallait s’y attendre. Lorsqu’on mélange la famille, le nucléaire et le confinement pendant le temps des Fêtes, les risques d’explosion peuvent devenir bien réels.

C’est d’ailleurs principalement pour cette raison, que depuis longtemps, comme écologiste, je souhaite qu’on sorte aussi le nucléaire de nos familles !

En temps normal, je souhaiterais que le temps des Fêtes soit pour votre gang ce que la mitaine est à la famille des doigts. C’est-à-dire une occasion de rassemblement, de solidarité et de réchauffement mutuel. Mais, en cette année pas comme les autres, je souhaite plutôt que le temps des Fêtes soit pour votre gang ce que le gant est à la famille des doigts. Quand il est très froid dehors, un gant, c’est moins chaud qu’une mitaine, mais il présente l’avantage de faciliter la distanciation de la famille des doigts. Alors, que vous soyez dans une famille nombreuse, une famille nucléaire, une famille recomposée, une famille choisie ou métissée-serré comme la mienne, je vous souhaite un agréable temps des Fêtes malgré la turbulence et la réclusion indispensable.

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