Quand on est rentrés à la maison ce jour-là, on pensait qu’on en avait pour une semaine ou deux. Trois peut-être. À l’arrivée du printemps, on se disait qu’à la fin de l’été, avec le retour en classe, la vie normale reprendrait.

Ce n’est qu’en septembre que la gravité de la situation nous a frappés de plein fouet. On a réalisé que le problème était plus important qu’on ne l’imaginait, que la vie normale ne reprendrait pas avant des mois et que les conséquences seraient catastrophiques.

C’est à ce moment qu’on a pris conscience qu’il faudrait faire le deuil, du moins pour un certain temps, de ces petites choses à la fois simples et précieuses qui auparavant agrémentaient nos vies. Comme recevoir des gens à la maison. Sourire aux étrangers en faisant son épicerie. Ou encore, serrer dans ses bras une personne qui nous a beaucoup manqué.

Par le fait même, on a compris qu’il nous faudrait aussi faire une croix sur ces occasions spéciales qui, hier encore, nous faisaient rêver à plus tard. Comme se rassembler pour célébrer un évènement heureux. Ou voyager dans des pays lointains.

On a ainsi remarqué que sans ces moments qui sortent de l’ordinaire, les jours se suivent et se ressemblent. Puis on a dû admettre qu’entre la réalité quotidienne et l’ennui, la ligne est terriblement mince.

On s’est alors trouvés bien naïfs d’avoir cru pendant si longtemps que nos libertés étaient intouchables. Dire que tout ce temps, on était à la fois chanceux et tout à fait inconscients.

Quand le temps froid est arrivé, la difficulté de l’épreuve a pris de l’ampleur. Pour ceux qui sont trop jeunes pour comprendre et pour ceux qui n’ont plus beaucoup de temps devant eux. Pour ceux qui prennent soin des autres aussi. Mais surtout, pour ceux qui souffraient déjà.

Puis après de longs mois loin des nôtres, à se raconter nos joies et nos peines à travers la distance infranchissable de nos écrans, l’affaire est devenue éprouvante pour chacun d’entre nous.

Le point de non-retour

Mais le point de non-retour, on l’a atteint lorsque les premiers flocons de neige ont commencé à tomber. À partir de là, on en est venu à la conclusion que nos vies ne reviendraient jamais comme avant. Ce qui devait être une situation temporaire était en train de s’établir comme une nouvelle réalité. De toute évidence, cet électrochoc planétaire laisserait des traces permanentes.

Pourtant, l’année qui s’achève s’est aussi déroulée dans l’ordre le plus naturel des choses.

La Terre a tourné sur elle-même à son rythme régulier et elle a poursuivi sa révolution autour du Soleil à la vitesse prévue. Le jour et la nuit se sont succédé, les saisons se sont enchaînées. Des êtres vivants sont venus au monde, tandis que d’autres sont doucement retournés à la terre, dans la continuité la plus banale de la vie.

Il faut dire qu’à l’échelle du cosmos, les préoccupations des êtres humains sont d’une insignifiance absolue. Nous avons beau nous sentir importants, nous ne sommes en réalité que des particules microscopiques qui s’agitent parmi tant d’autres quelque part dans un système dont l’étendue est si vaste qu’il nous est impossible de nous l’imaginer.

Un système qui nous impose ses lois universelles et qui demeure dans l’indifférence totale face à nos dérangements. Et ce système infiniment puissant gouverne les phénomènes naturels de la vie sur terre dans leurs moindres détails, même si ceux-ci sont désormais impactés par la brutalité des actions humaines. La hausse des températures planétaires, la fonte des glaces et l’explosion des épidémies d’origine animale en sont d’ailleurs des conséquences que nous n’avons pas fini de subir, semble-t-il.

Ainsi, malgré le fait que le monde civilisé ait été gravement ébranlé en 2020, en parallèle, le cycle global de la vie a suivi son cours comme si de rien n’était. Et dans la tourmente, les êtres humains ont eu la réaction attendue de leur espèce : ils se sont adaptés.

C’est que l’être humain possède une intelligence particulière qui le distingue des autres créatures vivantes. Il a cette capacité extraordinaire de connaître la réalité, de comprendre les difficultés et de les résoudre. Et pour mieux y parvenir, il coopère avec ses semblables.

Ce formidable mécanisme de survie est probablement le plus sophistiqué du règne animal. Mais la science nous prévient : ce mode de fonctionnement ne sera pas éternel s’il continue d’opérer comme il le fait, c’est-à-dire sans égard pour le reste du monde vivant.

Car l’espèce humaine a atteint un point où son égoïsme est en train de détruire à petit feu ses propres conditions de vie.

Si l’équilibre de la nature s’effondre sous le poids écrasant de l’activité humaine, la vie telle que nous la connaissons finira par s’effondrer à son tour, parce que l’un ne peut tout simplement pas prospérer sans l’autre.

En fin de compte, cette année difficile qui s’achève nous aura peut-être donné une chance en nous rappelant, tandis qu’il est encore temps, que l’on récolte ce que l’on sème.

Espérons maintenant qu’à l’issue de ces jours sombres, nous soyons devenus plus conscients que notre insouciance face à la fragilité de ce monde menace la vie que chacun d’entre nous a devant soi.

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