Le livre de Marie-France Bazzo portant sur les médias arrive à point. Nous méritons mieux – Repenser les médias au Québec se veut, selon l’auteure, un remède pour combattre « la méfiance et le désenchantement croissants » à l’égard des médias, toutes plateformes confondues.

Dans cet essai, Bazzo dénonce la facilité dans laquelle versent les « quelques personnes qui décident de ce que nous allons tous regarder. […] Tout doit être léger, léger ! Faut pas se prendre la tête, au Québec ». Cela me rappelle une confidence que m’avait faite jadis un animateur de l’empire Québecor. « Notre public, c’est la madame qui brasse sa sauce », m’avait-il dit, avec résignation.

Il y a beaucoup de mépris dans le milieu, selon Bazzo. Des lecteurs, des auditeurs, mais également des artisans de la télé qui se voient étouffer leurs élans de créativité.

À la fin, après avoir été filtrés dans le bureau des quelques grands décideurs, on produit un format de « plogue et de babillage » centré sur les « A », ces fameuses 50 vedettes interchangeables.

C’est la dictature des « A » dans le jargon télévisuel, selon Bazzo, ces ingrédients essentiels à la sauce…

En réponse à ce babillage, Bazzo propose de « remonter le niveau », « d’élever le niveau collectif », en dénonçant la trop forte place qu’occupent les « opinionneurs » et les « humoristes » devenus experts en tout. Enfin, elle en appelle à la responsabilité des médias qui doivent servir à « rendre leur société plus intelligible, plus intelligente, mieux équipée ».

Le livre de Bazzo arrive à point également dans le contexte de l’élection américaine. Mais à la question « Comment expliquer un tel délaissement grandissant des médias traditionnels par la population ? », je préférerais plutôt « Comment expliquer le délaissement des médias traditionnels de la population ? », qui se sent de moins en moins représentée, et dans les médias, et par ses élus.

Dans un essai People vs. Democracy (Le peuple contre la démocratie), l’auteur politologue de Harvard Yascha Mounk propose une réponse en démontrant qu’un réel danger guette les démocraties.

Le peuple, ayant conclu que son influence sur les politiques publiques était de plus en plus mince, se détourne désormais de la démocratie !

Selon les études menées au sein de plusieurs sociétés occidentales, les plus jeunes cohortes sont plus critiques de leurs régimes démocratiques et tendent à voter pour des partis anti-establishment. Une importante proportion des milléniaux américains (nés après 1980) exprime même l’idée qu’il serait préférable d’avoir un « leader fort » à la tête de la gouvernance de leur pays plutôt que des élections ! Cela vous rappelle quelque chose ?

Trump n’était pas seulement un dénonciateur de fake news. Il en était un producteur. Malgré une escouade de fact-checkers rapportant mensonge après mensonge, un sondage Reuters-Ipsos révèle tout de même que la moitié des républicains croit que Trump a bel et bien gagné l’élection du 3 novembre dernier, qui lui a été volée.

La cause ou l’effet ? 

On suppose que Trump est la cause d’un délaissement des institutions démocratiques. Et s’il n’était pas la cause, mais plutôt l’effet ? Et si Trump avait incarné un éloignement des institutions démocratiques, un malaise démocratique profondément ancré chez certains citoyens, mais ignoré des grands décideurs dont parle Bazzo ? À preuve, leur étonnement face aux résultats électoraux…

C’est du moins la thèse de Mounk. Ne se sentant pas écouté, ayant perdu toute influence auprès de ce qu’il nomme péjorativement les « élites », l’électeur se réfugie dans le discours populiste de celui qui parle son langage et qui dit comprendre sa réalité. Quitte à remettre en question les institutions, quitte à jeter le bébé avec l’eau du bain.

Selon Mounk, « tous les régimes populistes empruntent en fait les mêmes chemins : d’abord s’en prendre aux minorités, boucs émissaires faciles ; ensuite fragiliser les institutions qui assurent l’État de droit ; puis prendre le contrôle des commissions électorales. Voilà comment on glisse d’une démocratie libérale à une dictature élue ».

Enfin, si un examen des pratiques des médias est intéressant, celle des citoyens est peut-être nécessaire également. Le niveau d’échange sur les réseaux sociaux est dans un état pitoyable. Les faits, le data aussi précieux que l’Épice de la planète Arrakis dans le roman Dune, se font rares au profit de commentaires disgracieux ou d’étiquettes voulant discréditer l’opposant aux philosophies différentes. Versons-nous, nous aussi, trop facilement dans la facilité des échanges improductifs et du babillage vide de contenu un tant soit peu éclairant ?

Pourquoi se satisfaire d’observer le grand contentement des journalistes de la presse parlementaire face aux explications boiteuses et aux logiques douteuses et incohérentes ? Ou encore des discours mielleux plutôt que de résultats tangibles et mesurables ? Pourquoi être si sensibles aux titres accrocheurs dont la seule utilité est de vendre de la copie ? Parce que mériter mieux, c’est aussi ça : exiger davantage de nous-mêmes.

> Lisez l’entrevue avec Yascha Mounk dans Télérama

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