Alors que s’ouvre en Cour supérieure un procès fleuve de 28 jours, où 18 plaignants – associations et individus – sont regroupés en coalition afin de contester la validité de la Loi sur la laïcité de l’État, il est essentiel de revenir au cœur de la laïcité et des avancées sociétales que marque cette loi.

L’argumentaire juridique des détracteurs de la loi est porteur d’une contradiction flagrante, car c’est d’abord et avant tout afin de protéger l’intégrité des Chartes des droits qu’ils invoquent que la laïcité de l’État est cruciale.

Des droits fondamentaux renforcés

L’accession de la laïcité de l’État au rang de principe fondateur ajoute un jalon significatif à l’architecture des droits fondamentaux que le Québec a édifié au fil des générations. La Loi sur laïcité de l’État est avant tout génératrice de droits. En enchâssant l’obligation de neutralité religieuse qui lui est déjà impartie par la jurisprudence, l’État québécois donne sa pleine mesure à l’exercice non entravé de la liberté de conscience et religion, il énonce le droit fondamental à des institutions et services publics laïques, et accroît le traitement en pleine égalité de tous les citoyens et citoyennes.

Le principe de laïcité favorise également le plein déploiement des libertés de pensée, d’opinion et d’expression, dont l’effet conjugué permet l’exercice d’une citoyenneté tangible.

Le caractère indissociable de ces libertés fondamentales réside notamment dans l’autonomie de penser. D’où l’importance de l’éducation, qui engage toute la faculté d’émancipation et la potentialité de l’être humain. Élever l’individu à la liberté de penser, lui insuffler l’esprit critique et l’autonomie de jugement, délivré de tout dogme imposé, relèvent du champ éducatif.

Clé de voûte des droits individuels civils et politiques, la Loi sur laïcité de l’État se voit confier un rôle significatif dans l’ordre constitutionnel québécois où, de concert avec la Charte des droits et libertés de la personne et le Code civil du Québec, dont elle protège l’intégrité, elle est appelée à former un triptyque de premier plan.

Le principe de laïcité de l’État est dorénavant érigé au rang des droits et libertés protégés par la Charte québécoise, enchâssant l’expression de la singularité juridique et sociale du Québec. La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu dans l’affaire Ebrahimian c. France de 2015 que le principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’État figure au rang des droits et libertés fondamentales garantis lorsqu’il s’agit d’un principe fondateur de l’État.

La Loi sur la laïcité de l’État a une valeur prospective pour fonder le Québec du XXIe siècle, au-delà de l’instantanéité des passions. Elle est porteuse d’un souffle novateur qui fait avancer le droit.

La laïcité : penser la liberté dans un monde commun

La laïcité permet le déploiement d’un citoyen libre d’être pour lui-même et ouvert à l’être-ensemble, conscient d’appartenir à une communauté politique plus large, fondée sur le principe d’égalité au-delà des différences. L’État se doit donc de conjuguer cette double matérialité, le kaléidoscope où se déploient l’identité individuelle, dans toute sa potentialité, et la responsabilité citoyenne.

Contrairement à ce qu’on essaie de lui faire dire, la laïcité n’empêche pas la croyance de se manifester dans la société, bien au contraire ; elle est le socle du pluralisme sociétal, qui doit se dégager d’une vision exclusivement théocentrée ou athée du monde pour conjuguer l’altérité.

Elle n’évide pas davantage le sacré de la culture ; simplement, elle le fait coexister avec un espace civique politique profane, fondé sur le principe d’égalité qui, de ce fait, doit demeurer neutre et séparé de toute identification spirituelle ou confessionnelle.

Le pouvoir d’attraction des religions est grand, leurs origines millénaires et leur portée transnationale, tandis que l’État de droit n’est que centenaire et géographiquement restreint. À défaut d’une neutralité pleinement circonscrite, la liberté de religion, par ses revendications et sa volonté de s’afficher au cœur de l’État, est en conflit avec elle-même.

Les représentants qui personnifient l’autorité de l’État et en incarnent la mission dans le cadre de leur fonctions doivent prêter leur concours à l’exigence de neutralité des services publics, à titre de dépositaires de l’aspiration à l’égalité de leurs concitoyens et concitoyennes. L’État n’est pas au seul service de l’individu, mais du bien commun et de la collectivité.

Au-delà de la différence, il faut penser un mode commun et cela ne se fait pas à l’aune des seuls droits individuels. « L’individualisme de masse », pour reprendre la formule percutante d’Alessandro Baricco dans son récent ouvrage The Game, ne remplace pas la communauté politique. La force d’une démocratie s’inscrit dans ses institutions qui doivent pouvoir s’inscrire dans le temps. La démarche de l’État québécois est significative et enracinée dans son histoire.

* Le présent article constitue un sommaire de la contribution de MJulie Latour, « La laïcité de l’État : clé de voûte des droits individuels civils et politiques », au sein du collectif Les enjeux d’un Québec laïque – La loi 21 en perspective, codirigé par Lucia Ferretti et François Rocher, à paraître le 9 novembre prochain chez Del Busso éditeur.

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