La COVID-19 ne sera pas la dernière pandémie à laquelle le monde devra faire face. Afin de mieux comprendre le phénomène, nous proposons aujourd’hui le quatrième d’une série de 10 textes publiés dans le cadre d’une initiative de l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval.

Les récits historiques envisagent souvent la période inaugurée par Louis Pasteur, Robert Koch et Joseph Lister (dernier tiers du XIXe siècle) comme une rupture importante dans notre compréhension des causes et de la prise en charge des maladies infectieuses.

Révélant l’existence d’un monde microbien susceptible d’infecter tous les êtres vivants, la bactériologie médicale multiplie les succès : identification d’agents pathogènes, introduction de techniques d’asepsie, mise au point des premiers vaccins, etc. Les fameux « postulats de Koch » (encore utilisés de nos jours), qui énoncent les conditions à satisfaire pour établir le lien de cause à effet entre un microbe et une maladie, symbolisent la nouvelle science du laboratoire. Le mot « microbe » inventé à la même époque (1878) est mis en rapport par Pasteur avec l’étude des « maladies virulentes » et se diffuse rapidement dans la culture populaire et scientifique, témoin de cette nouvelle attitude sociale, politique et scientifique face à la maladie.

Le triomphe de la « théorie des germes » de Pasteur aura ainsi permis de rendre compte des causes des épidémies et d’engager la recherche de remèdes efficaces contre ces maladies (vaccins ou produits pharmaceutiques capables d’éliminer l’agent infectieux).

La théorie a aussi apporté un fondement expérimental aux recommandations de santé publique formulées quelques décennies plus tôt, mais souvent restées lettre morte.

Ignace Semmelweis, médecin obstétricien à Vienne et John Snow, médecin épidémiologiste à Londres, entre autres, avaient tenté de réduire la propagation des pathologies infectieuses en introduisant de nouvelles pratiques comme le lavage des mains à l’hôpital et la surveillance de la qualité de l’eau potable. Mais limiter la propagation des germes et l’éclosion d’épidémies tout en assurant la santé des individus et des populations, selon le mot de Koch (1892), exigeait d’abord de « débusquer [le microbe] dans les moindres recoins ». Comme le dira encore le médecin allemand Paul Ehrlich, il faut « frapper fort et frapper vite » (1913).

Les exploits des bactériologistes seront immortalisés par Paul de Kruif dans son ouvrage Microbe Hunters (1926). Malgré l’identification de nombreux agents pathogènes par Pasteur, Koch et leurs collaborateurs, les usages thérapeutiques des savoirs bactériologiques devront attendre les années 20-30 et surtout la période d’après-guerre, avec l’introduction de la pénicilline et d’un arsenal d’antibiotiques. Sans compter le caractère d’abord symbolique du vaccin contre la rage (maladie grave et spectaculaire, mais rare), la commercialisation de certains produits comme la « tuberculine » (qui occasionna plusieurs morts en Allemagne), les avancées promises par la bactériologie ont tardé à se manifester concrètement.

D’ailleurs, la pandémie de grippe de 1918-1919 est souvent perçue comme la fin de l’âge d’or de la bactériologie. Accusant (à tort) une bactérie d’être responsable de la pandémie, ce n’est qu’en 1933 que l’agent étiologique (un virus !) sera finalement isolé chez l’humain.

La découverte des « porteurs sains » montrera que la chasse aux microbes demeure une stratégie insuffisante et que, pour exercer un véritable contrôle sur les épidémies, il importe aussi de comprendre les voies de diffusion des germes dans les populations.

La microbiologie a longtemps été perçue comme une technologie dont le but était d’éradiquer les germes pathogènes présents dans les espaces publics et privés. Ce sont d’ailleurs les conséquences néfastes des microbes sur la santé humaine et animale qui ont d’abord attiré l’attention des chercheurs, au détriment de la biologie et de l’écologie des microorganismes. Bien que Pasteur ait observé des phénomènes de variation en laboratoire, le microbe a abondamment été caractérisé comme un être statique au cœur d’une nature en évolution.

L’utilisation massive des antibiotiques dans le domaine de la santé et de l’agroalimentaire, ainsi que du DDT dans le cadre des campagnes d’éradication de maladies comme la malaria, aura cependant pour effet de mettre en évidence les capacités d’évolution par sélection naturelle du monde microbien. Contrecoup de la stratégie d’élimination des germes, les phénomènes de résistance aux antibiotiques, d’infections nosocomiales (acquises à l’hôpital) et les maladies émergentes ont démontré les potentialités d’adaptation et d’évolution de ces êtres microscopiques.

À la suite de « l’unification microbienne du monde » (pour reprendre l’expression d’E. Le Roy-Ladurie), notre regard sur la place, l’histoire et la nature des microorganismes s’est en partie transformé. Comme l’écrivait le médecin pastorien Charles Nicolle, « la maladie infectieuse est un phénomène biologique comme les autres » (1933) ; elle est, certes, la conséquence de l’action d’un microorganisme chez un hôte, mais elle est aussi, de manière plus large, le résultat d’un nouvel équilibre entre le vivant et son milieu. Tout en poursuivant activement la recherche d’un remède ciblé et efficace face aux virus émergents comme le SARS-CoV-2, évitons de reléguer à l’arrière-plan l’étude des interactions entre l’être humain, le microbe et la biosphère dans la lutte contre la maladie infectieuse. Seule une approche plurielle pourra permettre d’éviter la prochaine pandémie.

* Pierre-Olivier Méthot est membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST-UQAM) et du Centre Nutrition, santé et société (NUTRISS, Université Laval).

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