En réponse au texte de Gérard Bouchard, « Radicalisation et extrême droite : fossoyeuses de la démocratie », publié le 26 septembre.

Dans une lettre d’opinion récente, Gérard Bouchard s’inquiète, à juste titre, de la montée de la radicalisation violente et de l’érosion démocratique. Il demande ce que « la science peut nous dire à ce sujet » et appelle les chercheurs québécois à se montrer moins « discrets » et publier davantage leurs résultats dans les médias. Nous saisissons volontiers cette invitation pour faire un point sur les actions dans ce domaine au Québec dans un contexte actuel qui nourrit diverses formes de radicalisation, alimente les crimes haineux et attise les polarisations sociales.

Un champ d’expertise en plein essor

L’expertise scientifique sur la radicalisation au Québec s’est enrichie ces dernières années et se structure autour de plusieurs pôles au rayonnement national et international : la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents (UNESCO-PREV) qui a pris le relais de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violents, l’équipe de Recherche et d’action sur les polarisations sociales (RAPS), le Réseau des praticiens canadiens en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent (RPC-PREV), le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation, le Réseau canadien de recherche sur le terrorisme, la sécurité et la société, PLURADICAL et d’autres. À cela s’ajoutent des équipes de recherche dont le mandat central n’est pas la radicalisation, mais qui étudient des aspects du phénomène (racisme, religion, médias, etc.).

Une première caractéristique de ce champ est la production croissante de connaissances. Ces dernières années, plusieurs dizaines de rapports et d’articles scientifiques ont porté sur des sujets aussi divers que les facteurs expliquant la sympathie pour la radicalisation violente chez les collégiens du Québec, la radicalisation dans le milieu universitaire québécois, l’adhésion des Canadiens aux théories du complot, les extrémistes de droite au Canada, les étudiants face à la radicalisation religieuse, les perceptions de la population canadienne à l’égard des pratiques discriminatoires et de la radicalisation, la couverture médiatique de l’extrémisme violent, l’impact des réseaux sociaux, etc.

Si beaucoup reste à faire, force est de constater les progrès accomplis et la vitalité heuristique de ce champ d’études.

Saluons aussi le fait que malgré son caractère pluridisciplinaire, des approches différentes et la concurrence inhérente à la recherche, ce champ se caractérise aujourd’hui au Québec par un effort de mise en réseau, y compris sur le plan international, et une collaboration accrue entre plusieurs pôles, mais aussi avec les milieux de pratique.

De la théorie aux pratiques

Seconde caractéristique, le Québec innove en raison du lien qu’il entretient avec les milieux de pratique (sécurité publique, santé et services sociaux, milieux éducatifs ou communautaires, etc.). Cela permet d’orienter la recherche plus seulement sur la compréhension des phénomènes, mais aussi sur leurs impacts et les approches et moyens d’y faire face. De fait, plusieurs équipes de recherche ont aussi pour mandat l’intervention auprès des individus radicalisés ou le lien avec les milieux de pratique.

Le Québec est d’ailleurs la province qui dispose du plus grand nombre de programmes de prévention et d’intervention au pays.

D’autres équipes sont également impliquées en prévention. Par exemple, la Chaire est partenaire de plusieurs projets en prévention dans les milieux scolaires, communautaires et professionnels. Juste avant le mouvement Black Lives Matter, elle a produit une trousse à outils sur le profilage racial pour les intervenants communautaires, de la santé, de l’éducation et de la police. Elle est également impliquée dans différents projets pour prévenir les discours haineux en ligne, la discrimination et l’intimidation.

Former et sensibiliser

Finalement, une troisième caractéristique de ce champ réside dans son travail de formation et de sensibilisation. À eux seuls, les signataires de cette lettre ont réalisé plusieurs centaines d’entrevues dans les médias québécois et internationaux. Plusieurs autres initiatives attestent également de la volonté de soutenir les efforts et d’ouvrir la réflexion aux professionnels et au grand public. Entre autres initiatives, citons un cours gratuit en ligne (MOOC), lancé cet été, pour lutter contre la montée de la haine et de l’extrémisme violent ou des modules de formation destinés aux milieux de pratique. D’autres initiatives semblables existent.

Le contexte actuel de pandémie, marqué par une anxiété importante dans la société, agit comme révélateur des inégalités et de la discrimination systémique. Il s’accompagne d’une remise en cause, souvent légitime, de nos institutions démocratiques de la part de citoyens. Au-delà de cette réflexion essentielle à une transformation sociale nécessaire, ce contexte nourrit des dérives haineuses et différentes formes de radicalisation violente. Chercheurs et praticiens ont un rôle important à jouer pour mitiger les atteintes au lien social.

La science est loin d’avoir toutes les réponses, mais nous devons poursuivre nos progrès dans la compréhension de ces phénomènes et des solutions.

Dans un climat où les émotions et perceptions peuvent dominer la scène, il est essentiel de soutenir les acteurs publics, les intervenants et les enseignants, à partir d’une analyse critique de nos modèles et actions. Le fait que le Plan gouvernemental de prévention de la radicalisation violente soit terminé ne signifie pas que la question n’est plus d’actualité. Au contraire, la tempête qui secoue notre monde ébranle aussi notre société, et il importe plus que jamais de le reconnaître. Les scientifiques québécois doivent continuer de s’exprimer sur ces questions afin d’aider à repenser notre démocratie et construire ensemble des solutions collectives.

Lisez « Radicalisation et extrême droite : fossoyeuses de la démocratie »

*Cosignataires : Marie-Ève Carignan, Pablo Madriaza et Vivek Venkatesh, de la Chaire UNESCO ; et Cécile Rousseau, de l’Équipe de recherche et d’action sur les polarisations sociales

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