Cette lettre s’adresse au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant.

C’est le 24 septembre dernier que, sous la pression judicieusement exercée par Québec solidaire et le milieu associatif, votre gouvernement s’est finalement engagé à relever de 12 %, d’ici Noël, les salaires des travailleuses du programme de soutien à domicile payées par le Chèque emploi-service (CES).

Il aura donc fallu plus de six mois de pandémie avant que ces travailleuses puissent voir cette augmentation de 1,80 $ sur leur taux horaire. Bien que ce long délai ait engendré un grand nombre de difficultés tant pour les travailleuses que pour les personnes recevant les services, nous désirons aujourd’hui saluer cette annonce. Il s’agit, indiscutablement, d’un pas dans la bonne direction.

Cela dit, il nous apparaît également essentiel de vous rappeler que cette augmentation se révélera tout à fait insuffisante pour mettre fin aux pénuries de main-d’œuvre affectant ce secteur des soins de santé depuis déjà plusieurs années.

Le taux horaire dont elles bénéficieront désormais, 17 $ de l’heure à Montréal, les situe toujours au plus bas de l’éventail des salaires offerts aux préposées œuvrant dans les multiples modalités du soutien à domicile au Québec. Les conséquences de cette situation sont malheureusement bien connues : un nombre croissant de personnes en situation de handicap font face à des ruptures de service chroniques en raison de leur incapacité à trouver des préposées qualifiées dans le cadre de ce programme. Le secteur des soins à domicile, partout en au Québec et depuis plusieurs années, est en zone rouge.

Une retenue peu surprenante

Au demeurant, cette retenue dont vous et votre gouvernement faites preuve quand vient le temps d’améliorer les conditions des travailleuses les plus précarisées du réseau de la santé ne nous surprend guère. Nous constatons avec dépit qu’elle fait écho aux propos que vous aviez tenus le 18 août dernier, à l’occasion d’une séance d’étude des crédits budgétaires de la Commission de la santé et des services sociaux. En réponse à une question posée par Harold LeBel, député de la circonscription de Rimouski, vous aviez alors laissé entendre que les « jeunes adultes handicapés préfèrent obtenir [des] soins de leurs parents ». Cette préférence, selon vous, justifie votre décision d’élargir les conditions d’utilisation du CES en permettant à ces personnes de rémunérer les membres de leur famille pour les soins qu’ils leur prodiguent dans le cadre de ce programme.

Nous convenons avec vous que cette annonce a probablement suscité un soulagement chez plusieurs personnes en situation de handicap. Ce que vous semblez toutefois négliger est que, chez un nombre croissant de ces personnes, ce soulagement est dû au fait qu’ils pressentent qu’ils n’auront d’autre choix que d’être transférés en CHSLD advenant le cas où les difficultés qu’ils ont à embaucher des préposées à domicile dans le cadre du CES devaient perdurer. La hausse que vous proposez, 1,80 $, ne nous permet pas de conclure que vous comprenez aujourd’hui mieux l’origine de cette angoisse. Nous craignons en effet qu’une telle somme se révèle beaucoup trop modeste pour les prémunir durablement d’un déménagement en CHSLD.

Dans ce contexte, il nous est alors impossible de convenir avec vous lorsque vous affirmez avoir « travaillé fort pour […] le chèque emplois-service ». La timidité des sommes supplémentaires consenties aux travailleuses ainsi que vos propos tenus le mois dernier entretiennent au contraire chez nous la conviction que votre gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé par ailleurs, demeure largement insensible à la revendication la plus consensuelle et générale des personnes en situation de handicap : l’accroissement de l’autonomie dont elles disposent dans toutes les sphères de leur vie. Il faut ici être clair : tant que les salaires payés via le CES seront maintenus à proximité du seuil de pauvreté, ce qui est encore le cas à 17 $ de l’heure, les mesures que vous mettrez en place pour faciliter le maintien des personnes en situation de handicap au domicile familial ne pourront être vues comme des moyens visant à accroître leur autonomie.

Le domicile familial ne peut en effet être un milieu de vie privilégié que si son choix procède d’une décision libre, autonome et éclairée.

La possibilité d’une telle décision requiert que le salaire des préposées permettant de vivre dans son propre logement soit augmenté davantage. Nous jugeons qu’il est plus que temps que la barre symbolique des 20 $ de l’heure soit dépassée.

M. Carmant, nous vous demandons donc aujourd’hui, encore une fois, de revoir les orientations prises par votre Ministère dans ce dossier. Le plaisir de vivre en compagnie de sa famille a pour condition de ne pas y être contraint. Cela nécessite que d’autres options soient possibles, ce qui, vous comprendrez, se révèle, pour plusieurs, être de plus en plus difficile. Vous avez le pouvoir d’offrir à la population en situation de handicap ces options.

L’augmentation prévue de 12 % est un bon premier pas, nous vous prions toutefois de ne pas vous arrêter là. Du même coup, nous aimerions vous assurer que si l’accroissement de l’autonomie des personnes en situation de handicap est réellement votre objectif, vous nous trouverez cet automne parmi vos meilleurs alliés.

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