Je viens de réaliser mon dernier quart de travail comme assistante aux préposées aux bénéficiaires (PAB). Cette expérience m’aura marquée pour toujours. Je n’ose pas imaginer le nombre de litres d’eau que j’ai sué derrière ce masque, cette visière, cet uniforme trop lourd qui ne respire pas et les blouses épaisses qu’on enfilait il y a encore si peu longtemps.

Je me souviendrai toute ma vie des centaines de lavages imprégnant mes mains d’une odeur d’ammoniaque pour deux jours (et, si j’étais chanceuse, d’une légère fragrance de citron), des milliers de pas m’amenant d’une chambre à l’autre et d’un étage à l’autre (en prenant les escaliers, s’il vous plaît !), des fréquents tests de dépistage avec notre cher ami l’écouvillon qui ne manquait pas de me tirer une petite larme chaque fois, et du pénible retour à la maison au début de la nuit, après mon quart, où mon vélo semblait tout à coup si lourd à déplacer.

Malgré ces quelques traumatismes, de beaux moments, parfois loufoques, laisseront aussi leur marque dans ma mémoire, comme la première fois où j’ai rasé la barbe d’un homme, ou le cours de fauteuil roulant 101 dans le Quartier des spectacles qu’une résidante m’a gracieusement offert, ou la discussion avec une autre résidante après qu’elle m’eut demande si j’aimerais être un homme…

J’ai aussi témoigné de situations poignantes, comme ce jeune résidant entré au CHSLD alors qu’il n’était qu’adolescent et destiné à y finir ses jours, ou encore cette résidante prise de pertes de mémoire me demandant pourquoi elle était en prison et m’annonçant chaque jour qu’elle quitterait le lendemain.

On m’a plusieurs fois demandé si j’allais faire la formation pour devenir PAB. Je me suis dit que certains voyaient peut-être en moi ce qu’il fallait pour bien prendre soin des gens et ça m’a fait chaud au cœur.

Toutefois, la question la plus lourde d’émotions qui résonnera dans mon cœur longtemps demeurera : « Es-tu là demain ? » Elle suivait habituellement un moment heureux avec un résidant ou un quart de travail satisfaisant aux yeux de mes collègues PAB. Autant la reconnaissance de mes aptitudes était gratifiante, autant je sentais le besoin de m’excuser lorsque la réponse était négative, tant la déception était palpable chez l’autre.

Hier, après avoir discuté pendant au moins 30 minutes avec un résidant dont je venais de faire la connaissance, la fameuse question ne pouvait être évitée. Lorsque j’ai annoncé mon départ, il m’a envoyé un « au revoir » bien triste. Si les PAB sont patients, les résidants le sont encore plus. Vous imaginez-vous répéter chaque jour à une nouvelle personne comment préparer votre repas ou brosser vos dents ? Imaginez maintenant que vous avez du mal à communiquer.

Vous avez trouvé le confinement pénible les derniers mois ? Certaines personnes sont confinées à un étage, à une chambre, parfois à leur lit depuis des années.

Néanmoins, j’ose croire que tous les moments où j’ai pu accrocher un sourire au visage d’un résidant, ne serait-ce que pour quelques minutes, ont fait une petite différence.

Un CHSLD, c’est un environnement de travail plutôt étrange, mais c’est avant tout un milieu de vie parfois bien morne. Je souhaite de tout cœur que la situation s’y améliore et que la qualité de vie des résidants soit rehaussée pour de bon. Mon vécu en ce lieu est aussi heureux que triste. Y travailler devrait être un passage obligé. Je suis maintenant plus reconnaissante que jamais de la vie que je mène. Gloire à ceux qui dédient leur vie à soigner les personnes en perte d’autonomie. Leur cœur est ô combien grand ! Ça prenait bien une pandémie pour le réaliser.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion